Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/58

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leur duel[1] n’est jamais ou ne doit être que le prélude à une mêlée générale, et il n’est bon qu’à cela. Par exemple, la querelle des darwiniens et des antidarwiniens s’est apaisée à mesure que s’est propagée la fièvre spéculative, de moins en moins intense peut-être, mais de plus en plus étendue, qui a suivi ces hautes controverses.

Mais il est remarquable que, parmi tous les autres aspects de la vie sociale, la politique, seule, se distingue par le maintien ininterrompu de son état dualistique et polarisé. Elle seule continue à nous diviser, à nous couper en deux ; et, tandis que les guerres de race, les guerres religieuses, les guerres commerciales, pareilles à celles des Anglais dans l’Inde et des Espagnols en Amérique au XVIIIe siècle, ont pris fin, de même que les scènes de pugilat ou les polémiques grossières entre artistes ou savants du XVIe siècle, les guerres politiques, civiles ou internationales subsistent encore et ne sont pas près d’être supprimées. La raison en est que la politique nous sert ses problèmes un a un, et non tous à la fois comme la philosophie, la science et la religion, qui ont pourtant, elles aussi, un ordre du jour, mais nullement impératif. La politique, volonté collective qui ne souffre pas d’indécision ni d’ambiguïté, nous impose les questions qu’elle nous pose ; il faut les résoudre à tout prix ; et, comme on arrive vite à épuiser la série des solutions pratiques, les opinions extrêmes ne tardent pas à attirer l’attention et à armer souvent le pays contre lui-même. À cet inévitable résultat concourt, par

  1. Je me permets de renvoyer le lecteur à mes Lois de l’Imitation, où j’ai parlé du duel logique comme d’un des deux procédés nécessaires et quotidiens de la logique sociale.