Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/113

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vert de cette teigne hideuse et dégoûtante qui est le partage de la plupart des habitants de ces malheureux pays.

Un jour, M. de Maupassant me dit : « Il fait beau ; aussitôt après le déjeuner, nous descendrons du côté du grand ravin voir si il y a moyen de tuer quelque chose. Bou-Hyahia viendra avec nous. Faites surtout attention à ce qu’il ne touche pas à mon fusil, car il a la teigne. À part cela, il est vraiment l’homme de la circonstance, il connaît bien le pays et jusqu’aux plus petits coins de la forêt. »

Nous partons à une heure, par une forte chaleur ; plus nous descendons dans ce grand ravin, plus le soleil se fait sentir. Nous marchons maintenant le long d’un petit torrent, brillant et limpide ; des lauriers-roses qui garnissent les talus jettent leur ombre dans cette eau miroitante qu’on côtoie avec plaisir, et qui donne un peu de fraîcheur. Je m’étais arrêté devant ce ruisseau que je trouvais si joli, quand mon maître m’appelle : « Venez, François, nous allons aller du côté de ce petit bois. Peut-être là, trouverai-je quelque gibier… » Bou-Hyahia approuve cette idée en des termes d’une flatterie excessive comme les Arabes savent en trouver.

Après avoir tourné la futaie, nous débouchons dans une superbe prairie et nous apercevons, à l’ombre des arbres, des groupes d’Arabes habillés avec une grande recherche. Ils s’amusaient à se rouler sur ce joli tapis de verdure. Lorsqu’ils nous aperçoivent, ils paraissent très contrariés, comme si ce coin charmant était leur bien, à eux seuls, rien qu’à eux pour leur divertissement.

Bou-Hyahia nous dit que ces gens étaient de riches Arabes qui habitaient des villages sur les hauteurs et que, lorsqu’il faisait très chaud, ils descendaient l’après-midi prendre le frais près de la rivière à l’ombre des arbres,