Page:Tassart - Souvenirs sur Guy de Maupassant, 1911.djvu/238

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toute sa joie de directeur et peut-être aussi d’artiste… Il s’aperçut tout de même que mon maître avait omis plusieurs ficelles par lui indiquées ; il lui en fit la remarque, mais non un reproche, et, très content, il partit. Je le vois encore dans l’antichambre, gros, court, la figure enluminée, des cheveux d’un noir de jais. De sa grosse main, rouge et potelée, il enfonçait le manuscrit de Musotte au plus profond de la poche intérieure de son veston, et, serrant la main de mon maître, il lui dit, comme adieu : « J’espère, Monsieur, que lorsque je vais avoir la direction de ce théâtre, — je crois qu’il s’agissait du Vaudeville — vous ne pourrez pas me refuser une bonne pièce de vous, qui sera une excellente affaire pour mon théâtre, et pour vous un triomphe, je vous l’assure. » Mon maître le laissa partir sans réponse, mais il riait doucement dans sa moustache ; c’était presque un acquiescement.


Juin. — Les médecins que mon maître voit en ce moment sont partisans d’une nourriture très reconstituante, sans tenir compte de la difficulté de ses digestions. Il faut qu’il mange beaucoup, au moins quatre fois par jour. Le matin, je lui donne un lait de poule ; à midi, viande saignante, purée et fromage ; à 4 heures, une crème cuite ; le soir, dîner complet. Il se maintient avec ce régime forcé en nourriture facilement assimilable, mais n’obtient pas de progrès vers un mieux, comme je le souhaiterais… Il donne plusieurs dîners et reçoit des compliments sur sa confortable et jolie installation. On admire ses magnifiques plats en vieux Rouen ; un de ses invités, grand amateur, les convoite, mais à aucun prix Monsieur ne veut s’en séparer ; ils sont, du reste, beaux, de peinture fine, ovales et à anses détachées, ce qui aug-