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UNE CHRONIQUE D’AMOUR.

Dard mortel et caché, qui fait long-temps souffrir,
Et qu’on ne peut du cœur arracher sans mourir !

Jeune, bien jeune encor paraît celle qui penche
Un front appesanti sur sa main frêle et blanche…
Belle, elle ne l’est point, si ce n’est par hasard,
Quand un éclair de joie anime son regard…
Belle ! Non, si ce n’est cette beauté soudaine,
Intelligent reflet de la pensée humaine…
Belle ! Non, si ce n’est au moment fugitif
Où l’âme sur les traits jette un charme furtif.
Elle l’éprouva trop ! cette âme désolée,
Jetée au sein du monde, étrangère, isolée,
N’a point connu ces noms, doux et premier lien
Où pût se reposer un cœur tel que le sien !
Trop tendre pour goûter la vaine flatterie,
Trop aimante pour voir sa jeunesse flétrie,
Dans cet isolement imposé par le sort,
Elle vit, mais la vie est pour elle un effort !
Long-temps elle nourrit dans le fond de son âme
D’innocens alimens cette inquiète flamme :
Elle invoqua les arts, l’étude, la pitié,
Qui, trompant notre cœur, le remplit à moitié !
Les doux chants du poète, et tout ce qu’à nos veilles
Le monde des romans peut offrir de merveilles.
C’est en vain, elle aima ! Elle aima ! dès ce jour,
Des oiseaux et des fleurs fuit le tranquille amour ;
Le livre nonchalant sur ses genoux retombe ;
Le luth reste oublié sous l’arbre favori,
Dont les rameaux pendans comme autour d’une tombe,