Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/113

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franc-maçonnerie universelle, le siège du souverain pontificat de l’Église de Satan. Albert Pike l’apprécia et fit de lui un des membres de son Sérénissime Grand Collège.

En 1873, les mormons étaient plus de cent mille dans l’Utah. Quatre ans après, Brigham Young mourait, et sa succession était dévolue à John Taylor par le conseil des douze apôtres de la secte.

Walder, à la fois lieutenant de John Taylor et d’Albert Pike, est aujourd’hui le trait d’union entre le mormonisme et la franc-maçonnerie. C’est un homme d’une activité prodigieuse. Tantôt dans l’Utah, tantôt dans la Caroline du Sud, il a deux domiciles officiels : l’un, au Deseret ; l’autre, à Charleston. Ce qui ne l’empêche pas d’accomplir de nombreux voyages. Le croit-on en Amérique ? il débarque tout à coup d’un paquebot en Europe ou en Asie, ayant sans cesse une mission dont le but est inconnu, visitant les loges et les arrière-loges des diverses capitales du monde, aujourd’hui sous son nom et se faisant rendre des honneurs, demain en secret, avec une fausse barbe et un diplôme à lui délivré, sous un nom de fantaisie, par le Suprême Conseil de Charleston. Depuis une dizaine d’années, il s’est particulièrement consacré à la propagande du rite palladique et néglige la maçonnerie ordinaire.

C’est lui-même qui a élevé sa fille, dans le satanisme pur.

Tel est l’homme à qui le frère Hobbs sollicita pour moi la faveur exceptionnelle d’être admis à la solennité qui se préparait. Il me l’accorda froidement, après quelques mots secs. Il me dévisagea un long moment, me posa trois ou quatre questions dont j’eus la chance de ne pas être embarrassé, — car elles avaient trait justement à des sujets dont Carbuccia m’avait instruit, — et, pour conclure, il dit à mon introducteur :

— Frère Hobbs, vous veillerez à ce que le frère Bataille soit soumis à l’épreuve que vous savez.

Là-dessus, il se leva de son fauteuil ; ce qui nous indiquait nettement qu’il était temps que nous prissions congé de lui. Nous le saluâmes et sortîmes de sa chambre, où il nous avait reçus.

Sur le seuil de la porte d’entrée de l’hôtel, nous rencontrâmes Tomaso Cresponi, autre maçon de haute marque. Nouvelle présentation. Celui-ci est aussi exubérant que Philéas Walder est concentré ; mais Cresponi est un malin, qui ne dit jamais que ce qu’il veut dire.

Maigre, osseux, aux yeux noirs et vifs, à la chevelure bouclée, long comme un jour sans pain, la lèvre supérieure garnie d’une épaisse moustache qui s’étend jusqu’aux joues, Tomaso Cresponi est un gros bonnet de la secte. Il venait d’Amérique, lui aussi, et avait accompagné Walder, mais il devait se fixer à Rome, où il avait à prendre, auprès du Suprême Conseil d’Italie, les fonctions, en apparence honorifiques, de Garant