Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/161

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frère Walder, qui est un des dix lieutenants du Suprême Grand Maître Albert Pike, un des dix cardinaux du Souverain Pontife anti-pape, pouvait me conférer directement le grade, moyennant 250 francs, au profit exclusif de la caisse aussi sacrée que centrale de Charleston. Et, afin d’être sûr d’avoir ma préférence, le rusé Walder m’offrait, non pas le grade de Kadosch du Palladium (premier degré masculin), mais celui de Hiérarque (second degré), que le Parfait Triangle de Calcutta n’avait pas le droit de me conférer sans me faire passer par la filière.

Moi, je vis surtout deux choses dans la combinaison du frère Walder : la suppression des formalités, d’abord, ce qui réglait pour moi un cas de conscience, et ensuite une économie de deux cent cinquante francs, ce qui pour ma bourse n’était pas à dédaigner.

C’est pourquoi, mon élévation au grade de Hiérarque ne traîna pas. À peine eus-je accepté, que le lieutenant d’Albert Pike sortit de son secrétaire un diplôme palladique, y inscrivit mes nom, prénoms, profession, lieu et date de naissance, titres et grades maçonniques anciens et nou veaux, le signa, le timbre, et m’y fit apposer ma signature ne varietur. Je versai les dix livres sterling, équivalant aux cinquante dollars du tarif, et le cher et illustre Walder me délivra mon parchemin en règle.

Ah ! je peux bien le dire maintenant à tous mes anciens frères en Lucifer, jamais je n’ai fait un meilleur placement que celui de ces deux cent cinquante francs. C’est comme Hiérarque que j’ai pu pénétrer partout, et je crois qu’à part la réunion du Sérénissime Grand Collège, j’ai à peu près tout vu en maçonnerie des divers rites.

Je ne regrette certes pas les « métaux » versés à Walder, bien que, logiquement, on aurait dû me les rendre, le jour où mon diplôme m’a été repris. En effet, j’ai eu plus tard quelques difficultés, — que je raconterai, — avec les chefs du Palladium, pour avoir sauvé la vie à un brave garçon, égaré dans cette secte, lequel s’était fait condamner à mort en empêchant l’assassinat de miss Mary D***. En qualité de Hiérarque, j’avais droit de veto, et j’en usai en faveur de ce jeune homme, que déjà les poignards de nos frères menaçaient. Mon intervention me valut une enquête, la mise sous séquestre de mes titres maçonniques, lorsque je comparus pour me défendre, et un punch fraternel, qui pourrait aussi bien et même mieux s’appeler un bouillon de onze heures, mais qui manqua totalement son effet, puisque j’écris aujourd’hui cet ouvrage en bonne et parfaite santé. Laissons cela ; nous y arriverons quand il faudra. Pour l’instant, je me borne à dire que, puisqu’on m’a repris ce parchemin auquel je tenais beaucoup et que j’avais payé comptant sans marchander, on devait du moins me rendre l’argent. Qu’il soit bien entendu, néanmoins, que je ne le réclame pas.