Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/17

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face la réalité… Vérifiez vous-même la salle maintenant ; aucun appareil n’est dissimulé, vous pouvez le constater. »

Et l’on me fit faire une visite minutieuse du local.

Alors, après toute une séance de spiritisme, en dernier lieu, on évoqua Voltaire et Luther. À un moment donné, dans le silence de l’obscurité, je vis très distinctement deux silhouettes, comme des ombres, comme des fantômes, apparaître, aller et venir dans la salle au milieu de nous, à peu de distance du sol, sans le toucher ; mais ces esprits ne répondirent pas aux questions que le grand-maître leur adressait et s’évanouirent, s’effaçant graduellement comme une vapeur légère, ainsi que du reste ils étaient apparus.

Je fus assez vivement impressionné, et, cependant, au fond, je doutais encore. Les trucs n’avaient-ils pas été mieux dissimulés que d’habitude ? Voilà ce que je me demandais… J’assistai ainsi à de nombreuses évocations du même genre, et toujours d’êtres humains trépassés.

Je finis, je dois le dire, par prendre l’habitude de ces coupables pratiques ; j’essayai de me bien pénétrer de toutes les cérémonies d’invocation, de toutes les formules, et puisque, pensai-je, mes frères en théurgie ont le pouvoir d’évoquer des trépassés, de conjurer des sorts, je vais à mon tour me servir de ces moyens, pour essayer de rétablir ma fortune, devenir riche, être heureux.

Cependant, tout cela avait un peu ébranlé mes convictions d’athée, de libre-penseur, d’homme ne croyant à rien. S’il y a réellement quelque chose après, me disais-je, n’y aurait-il pas réellement aussi, comme l’affirment les catholiques, un enfer, et par conséquent un Dieu bon et miséricordieux, mais terrible aussi ?… Alors ?… Mais quel est le roi du ciel et quel est le roi de l’enfer ?… Cela ne m’apparaissait pas bien clairement, à raison surtout des thèses étranges que j’avais entendu soutenir par les conférenciers de nos sociétés d’occultistes.

Mais n’anticipons pas. Je me borne à vous indiquer, mon cher docteur, quel était, dès ce moment, le trouble de ma conscience, et j’arrive au plus important, c’est-à-dire au fait inouï, épouvantable, dont depuis huit jours je suis absolument bouleversé…

Ici, j’arrêtai mon Carbuccia.

— Vous allez, je le vois, lui dis-je, me raconter des faits graves, des choses qu’un chrétien ne doit pas entendre sans horreur, et si, comme je n’en doute pas, à voir la netteté de votre récit, sa simplicité, ainsi que la conviction qui en résulte, vous allez plus loin, si vous pénétrez, en un mot, dans le domaine des idées que la religion nous défend d’aborder témérairement, je ne puis plus vous écouter… C’est à un prêtre qu’il faut aller confesser cela, c’est à ses pieds qu’il faut vous jeter ; quant à moi, je n’ai ni qualité ni envie de recueillir des confidences sur de tels sujets… Je ne vous le cache pas, j’avais tout à l’heure grand désir de tout savoir ; mais maintenant, au fur et à mesure que vous avancez dans votre récit, je sens que je vais apprendre des choses qui me troublent déjà sans que je les connaisse ; ma conscience de chrétien se révolte, et je me demande si vous écouter seulement ne me rend pas votre complice jusqu’à un certain point… Car, enfin, ce n’est pas au médecin dans l’exercice de ses fonctions que vous racontez cela ; je ne suis donc, en aucune façon, tenu vis-à-vis de vous au secret professionnel, et je ne sais si je résisterai, moi, à l’envie de tout raconter à mon tour, de publier ce que vous me dites de point en point et mot à mot, afin de faire connaître au monde entier des faits peu connus et en grande partie ignorés, afin que la divulgation de ces exécrables pratiques mette en garde et contribue à sauver des âmes sur le seuil de ce précipice dans lequel vous êtes tombé, dans lequel, je le pressens, vous avez roulé jusqu’au fond…

— Oh ! dit alors Carbuccia, quelle merveilleuse idée vous avez là, docteur !… Oui, c’est cela, il faudra publier mon récit, il faudra raconter tout un jour,