Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/258

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contrée où il était préfet ; cela me permettrait de les mensurer et de les étudier.

Il se mit à rire de la simplicité du service que je lui demandais, m’affirmant que j’aurais mes crânes à mon prochain voyage, et que rien ne lui était plus facile.

J’eus, en effet, mes crânes, ou plutôt je ne les eus pas, parce que, bien entendu, comme vous allez le comprendre, je refusai d’en prendre livraison.

Savez-vous comment mon ex-malade reconnaissant me les expédiait ?

Oh ! d’une façon bien simple, allez !

À mon retour, et comme nous étions mouillés depuis la veille en rade d’Hong-Kong, je travaillais dans ma cabine, lorsqu’un timonier vint me prévenir qu’un sampang, où se trouvaient une douzaine de Chinois, demandait à accoster et à parler au médecin du bord.

On les fit monter, et là, un interprète, qui les accompagnait, m’expliqua, en s’inclinant très bas, que mon ami le tao-taï m’envoyait les douze individus ici présents, pour que je prisse leur tête et d’autres parties de leur corps, si je voulais.

L’interprète, avec le plus grand sérieux du monde, me tendait un papier couvert de hiéroglyphes chinois, qui était, parait-il, un reçu, destiné au lao-taï, une fois que je l’aurais signé. Mon tao-taï avait disposé de ces douze hommes ; ceux-ci savaient parfaitement quel sort leur était destiné ; c’étaient probablement de pauvres diables qu’on avait choisis parmi les plus malheureux de la ville, et encore je n’oserais pas trop l’affirmer ; tout aussi bien, ils pouvaient être les premiers venus. En tout cas, mon tao-taï s’imaginait ainsi tenir sa promesse, et il faisait, à sa manière, les choses dans toutes les règles.

Je vous laisse à penser si je tombai de mon haut.

J’ajoute que j’eus toutes les peines du monde à faire déguerpir mes otages, et que jamais ils ne comprirent pourquoi je refusai de leur faire couper le cou, ayant demandé leurs têtes.

Cela leur parut invraisemblable, extraordinaire, et, s’ils vivent encore, ils doivent parfois raconter à leurs amis cet événement incompréhensible pour eux.


J’ai rappelé tout ce qui précède dans le but de faire bien comprendre au lecteur la possibilité des horreurs que j’ai déjà relatées, au sujet de l’Inde, et de celles qu’il me reste à raconter maintenant, au sujet de la Chine.

Tuer un homme, en Chine, n’est rien, ne compte pas. Le faire souffrir est peut-être quelque chose, et encore ! c’est à savoir…