Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans. Je n’oublierai jamais de ma vie ce personnage grotesque, marmottant des phrases incohérentes qui, de sa lèvre inférieure pendante, tombaient et restaient le plus souvent inachevées. On le montrait à cause de sa grande barbe blanche : il servait aux exhibitions dans les loges italiennes, où on le promenait pour exciter les nouveaux initiés contre la Papauté.

Petroni, c’était un martyr vivant. Il avait bien soixante-dix ans, quand je le vis, et il était dans une complète décrépitude. Les événements de 1870 l’avaient tiré des galères ; car il avait été condamné aux travaux forcés à perpétuité, comme complice d’une série d’assassinats censément politiques. Aussi, son ramollissement était mis sur le compte de la persécution à laquelle il avait été en butte de la part des despotes.

Je dus faire de violents efforts pour ne pas pouffer de rire, un soir, lorsqu’on l’amena à une réunion des grades symboliques. À son entrée, Cresponi secoua sa noire crinière bouclée et mit genou en terre ; Achille Maïocchi, agitant son unique bras au-dessus de la foule, s’écria d’une voix retentissante :

— Salut à toi, noble victime de la tyrannie pontificale ! Salut, grand citoyen ! Nos applaudissements sont pour toi le présage des bénédictions que te réserve la postérité !

Au milieu des bravos de l’assemblée, Petroni répondit :

— Ba… ba… ga… ga… pa… pa…

Et, illico, on l’escamota en le faisant prestement filer par une autre porte.

Tel était le grand-maître titulaire du Grand-Orient d’Italie.

Adriano Lemmi, l’homme qui restait dans la coulisse, le Chef d’Action politique correspondant avec Charleston, est vraiment quelqu’un, lui, bien qu’il n’arrive pas à la cheville de Mazzini ni de Pike. Il est, pour la religion, un adversaire sérieux et de la plus dangereuse espèce.

Ce n’était pas au maçon italien que je me présentai, le jour où je vins frapper à sa porte ; c’était au souverain directeur luciférien, connu comme tel des seuls vrais initiés, que j’avais affaire. J’étais porteur d’un message de Gibraltar. Un signe imperceptible, à l’angle de ma carte de visite, me donna l’introduction immédiate auprès du banquier juif, dans son cabinet de travail, à son domicile.

En entrant, en apercevant Lemmi, je demeurai interdit, stupéfait.

Était-ce bien Adriano Lemmi que j’avais devant moi ?… Et quand il se leva de son fauteuil, me saluant en frère palladiste, je ne pouvais en croire mes yeux…

J’assistais à une résurrection, à laquelle j’étais loin de m’attendre. « Les morts sortent-ils donc de leur tombe ? » me demandais-je. L’homme qui