Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/47

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jets à un vénérable ecclésiastique, M. l’abbé Laugier, un de mes meilleurs amis et le prêtre à qui je soumettais mes cas de conscience.

Le digne abbé, je dois le dire, fut d’abord quelque peu effrayé de ma résolution. Le cas, en outre, était, à son avis, des plus délicats. Je lui montrai mon diplôme de membre des hauts grades cabalistiques de la maçonnerie occulte, en lui donnant l’assurance que je l’avais tout simplement acquis à beaux deniers comptants et que je n’avais, en aucune façon, contracté le moindre engagement contraire à ma foi. Mais cela ne suffisait point à le rassurer. Je pouvais, pensait-il, me trouver pris dans quelque réunion et mis en demeure de commettre une profanation ; le désir de connaître à tout prix ces choses mystérieuses ne me ferait-il pas oublier mon devoir ? et si, d’autre part, je refusais d’être complice, ne m’exposerais-je pas alors à un danger ?… Telles étaient ses objections.

Je lui donnai ma parole de chrétien que, dans ce cas, je sacrifierais ma curiosité. J’espérais, au surplus, me tirer avec un peu d’adresse des difficultés qui pourraient surgir. En tout cas, si mon habileté se trouvait en défaut, ce serait tant pis, je ne poursuivrais pas mon exploration. Quant à la question de péril, je haussai les épaules. Agissant pour le bien général, ne poursuivant qu’un but, celui de me mettre en mesure de démasquer une contre-religion d’abomination et de crime, je me sentais la conscience légère ; j’avais souvent déjà côtoyé la mort, sans crainte ; si je me trouvais tout à coup en face d’assassins furieux de voir leurs secrets surpris, eh bien, ma vie serait chèrement défendue.

Le bon abbé Laugier frissonnait en m’écoutant. Il m’avait connu tout enfant, dès ma septième année ; il était le vieil ami de ma famille. Il me savait incapable de me laisser pervertir par les sectaires, à qui j’allais me mêler pour les besoins de mon enquête de visu. Aussi, j’estime qu’au fond il tremblait plus pour mon existence que pour mon âme. Néanmoins, il revint encore une fois sur le malaise qu’il éprouvait, au point de vue religieux, à me donner son approbation. Lui confier mon dessein, c’était, somme toute, disait-il, prendre son conseil ; et il parla alors d’en référer à ses supérieurs ecclésiastiques.

Là-dessus, je me rebiffai vivement. Je suis bon catholique, c’est vrai, comme tous mes collègues de la marine ; mais aussi, comme tout marin, je suis obstiné, disons le mot, têtu ; bref, je l’avoue, j’ai un peu mauvaise tête. Cette perspective inattendue d’une consultation générale me déplut fort. Mon projet était tout personnel ; je l’avais mûri pendant la longue traversée ; sa réalisation était déjà commencée, puisque ma première démarche à Naples m’avait si bien réussi. Je ne doutais pas, certes, des bonnes intentions des supérieurs de l’abbé à mon égard ; mais un mot imprudent pouvait échapper quelque jour à l’un d’entre eux ;