Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/48

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enfin, pour tout dire, une entreprise comme la mienne avait besoin d’être absolument ignorée pour aboutir à un plein succès. Sur ce point, je tins bon, et le brave et digne homme vit bien qu’il perdrait son temps à vouloir me convaincre de l’utilité d’une consultation sur mon cas.

L’abbé Laugier en prit donc son parti. Il me calma ; car je m’étais presque fâché. Il poussa un gros soupir, leva les yeux vers une statuette de la Bonne Mère qui était sur sa cheminée ; je compris, au mouvement de ses lèvres, qu’il murmurait une courte prière, demandant sans doute au ciel une surabondance de protection pour moi. Lors, il me retint à déjeuner, comme il avait l’habitude de le faire à chacun de mes séjours à Marseille.

Il aimait, en général, beaucoup les longues causeries faites après table, — très frugale, d’ailleurs, — et au cours desquelles je lui rapportais, disait-il, des nouvelles fraîches de Dieu. Ma situation me mettait, en effet, facilement en rapports avec toutes les missions catholiques du monde entier, au Japon, en Chine, aux Indes, dans les deux Amériques ; et, comme de juste, je ne manquais jamais d’aller en passant rendre visite à ces apôtres, à ces pionniers de la civilisation évangélique, et naturellement aussi, à mon retour, j’avais provision de nouvelles, de conversions, histoires de catéchumènes à raconter, toujours plus intéressantes à entendre dire qu’à lire dans des lettres.

C’était une fête que le jour de mon arrivée chez mon vieil ami ; on mettait les petits plats dans les grands ; quelques intimes, prévenus dès la veille, festinaient chez le bon prêtre ; et, au dessert, grand nombre de fidèles de la paroisse s’en venaient écouter mes récits. Cette fois, j’avais en soin de ne pas informer l’abbé Laugier à l’avance. Il s’excusa, en me grondant d’être tombé chez lui comme une bombe ; mais la nature des nouvelles exceptionnelles, au sujet desquelles nous avions à causer, lui fit bientôt comprendre, surtout après l’incident qui suivit sa proposition de consultation, que j’acceptais son invitation à la condition expresse que nous déjeunerions seuls. Il en fut ainsi, et personne ne vint nous déranger.

J’avais mis l’abbé au courant de l’affaire Carbuccia. Il n’ignorait pas l’existence des sociétés où un culte secret est rendu à Lucifer. Je ne lui apportai donc aucune révélation. Mais il ne connaissait l’organisation du satanisme que par-ouï dire. D’autre part, il savait plusieurs faits, détachés, où l’intervention des démons avait été manifeste, et il me les cita.

En parlant de ces choses surnaturelles, il m’arriva de laisser échapper une expression d’étonnement, au sujet de ce pouvoir que Dieu concède à l’enfer.