Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/617

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Comme je me levais, pour aller à elle afin de vérifier le fait, je regardai, concentrant mon attention et ma mémoire, et tout à coup un éclair me traversa l’esprit ; je ne pus retenir un cri :

— Saoundiroun !

La ressemblance était pour moi frappante ; c’était bien là, devant mes yeux, habillée en homme, la dévadase luciférienne de Calcutta, que j’avais vu disparaître, s’évaporer, au milieu du tourbillon de ses compagnes, sur la table ronde de granit rose, au sanctuaire de la Rose-Croix.

Il parait que j’avais eu tort de remuer et de chercher à atteindre le personnage mystérieux, car dès qu’il eut disparu :

— Maintenant il ne reviendra plus d’aujourd’hui, fit Lopez l’ex-sacristain ; notre ami ne veut jamais qu’on essaye de savoir qui il est, ni qu’on essaie de le toucher.

On comprend combien je regrettai ce mouvement un peu vif de curiosité. L’incident mit d’ailleurs fin à la soirée. On attendit pour la forme encore quelques projections lumineuses du phare ; mais rien ne parut plus au milieu de leurs rayons.

On me demanda ce que signifiait le cri bizarre que j’avais poussé.

— C’est un mot indien, répondis-je.

Mais personne n’insista. Quant à moi, j’étais fixé : un démon, dont je ne savais pas encore le nom, et que je revis plusieurs fois plus tard en d’autres circonstances, s’était évidemment produit pendant quelques années à Calcutta sous forme de dévadase, et, à un moment donné, avait jugé à propos de quitter cette forme et de disparaître de la façon que j’ai racontée plus haut ; maintenant, il se à d’autres maléfices, pour agripper les âmes de cette famille de portenios.

Les lampes furent rallumées, et chacun allait se retirer. La maman et les deux jeunes filles vinrent à moi, me menaçant amicalement du doigt :

— Ah ! docteur, docteur, disaient-elles, vous faites comme cela fuir nos meilleurs amis ; c’est mal ; tant pis pour vous, du reste, car vous auriez assisté à une séance des plus intéressantes…

Et, comme je manifestais mon étonnement :

— Parfaitement, parfaitement, reprirent-elles ; tenez, demandez à Lopez ; si vous saviez comme notre ami est doux, spirituel, gentil, aimable, et comme il nous rend une quantité considérable de services à ma sœur et à moi !… Quand il vient, nous causons quelquefois longtemps avec lui ; il nous répond par oui ou par non de la tête ; ou bien alors, quand maman et papa sont là, ainsi que le bon M. Lopez, nous nous mettons tous autour de ce guéridon que vous voyez dans le coin