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VII
VIE DE TERTULLIEN.

du génie pour se défendre, ou pour subsister. Ensuite, dans leur langage figuré, ils avertissent les humbles arbrisseaux de prendre garde de se laisser déraciner par le vent de l’hérésie, puisque les cèdres du Liban sont emportés par la tempête. On a voulu expliquer la rupture de Tertullien par le refus qu’il avait éprouvé, quand il brigua l’honneur de s’asseoir dans la chaire épiscopale d’Agrippinus, à Carthage, ou même de devenir évêque de Rome. Rien ne justifie cette conjecture. Saint Jérôme dit positivement que la jalousie et des paroles imprudentes du clergé romain précipitèrent l’illustre docteur dans l’hérésie. Il faudrait à jamais regretter que des sévérités hors de saison eussent contribué à ce fatal divorce ; mais, tout en respectant le témoignage du solitaire de Bethléem, qu’il nous soit permis d’entrer un peu plus profondément dans le caractère que nous étudions.

Tertullien n’était pas un de ces hommes qui pussent rester long-temps soumis à une marche régulière et méthodique. Arrivé à l’adolescence, il s’était jeté tête baissée dans les voluptés du paganisme. Une fois qu’il eut ouvert son cœur aux croyances nouvelles, il ne garda pas plus de mesure dans la foi catholique qu’il n’en avait gardé dans les désordres de sa jeunesse. Le spectacle de l’héroïsme chrétien aux prises avec les chevalets, les bûchers et les échafauds, avait produit sur lui une vive impression, nous l’avons vu. Dans les intervalles de repos, son esprit impatient cherchait encore des périls à braver, des perfections à atteindre, des sacrifices à consommer, de la gloire à conquérir. Il lui semblait que les Chrétiens mettaient trop de tiédeur dans leurs prières, dans leurs paroles, dans leurs martyres. La vie était pour lui une lutte de tous les moments : il fallait la terminer par une mort généreuse qui le mit en possession du salaire. Plus il retranchait sur les sens, plus il immolait la chair, plus il lui semblait qu’il s’élevait dans la route de la perfection. Par malheur, le prêtre de Carthage, perdant de vue le précepte de saint Paul : Sapere ad sobrietatem, oubliait qu’il est une sagesse orgueilleuse qui conduit à l’abîme, et que le rigorisme n’est pas plus la vertu que la dureté n’est la justice.

Une coïncidence malheureuse voulut que l’hérésie de Montan trouvât alors des disciples parmi les Églises d’Afrique. Ce sectaire, né en Phrygie, poussé par un orgueil que nous ne sa-