Page:Tharaud - Dingley.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il aurait voulu l’aborder, lui dire il ne savait quoi. Il aurait souhaité que la Reine vînt à passer par ici, la distinguât dans la foule, arrêtât sa voiture et la fît monter près d’elle.

Mais quoi ! se disait-il en marchant, la vie est-elle une denrée si précieuse qu’on doive s’en montrer avare comme du poivre ou de la cannelle sous le roi Georges Ier ? Au temps où il accompagnait, dans les passes de Khyber, les colonnes lancées sur la trace des Afghans, il avait rencontré de ces fleurs singulières qui se nourrissent des insectes tombés dans leur calice. Celles-ci s’étaient gorgées de mouches attirées par les cadavres trop hâtivement enterrés. Devant ces fleurs éblouissantes, qui donc pensait à regretter quelques mouches sacrifiées ?…

Lorsqu’il fut rentré chez lui, Mistress Dingley lui demanda — elle lui faisait la même question tous les soirs :

— Eh bien, Crook ?

— Mort, répondit-il avec un sourire tranquille. Et il lui raconta la scène dont il venait d’être témoin, avec une émotion sincère où