Tsao traita parfaitement l’envoyé de Youen-Chao, et, d’après ses nouveaux plans, il le chargea de porter à son maître les titres de gouverneur de quatre districts, de général de première classe et de ministre d’état[1], avec l’ordre de réduire Kong-Sun-Tsan, secrètement joint à la lettre et suivi de ces mots : « J’irai en personne joindre mes forces aux vôtres. » La joie de Youen-Chao fut grande à l’arrivée de l’envoyé ; il se hâta d’obéir.
Cependant Liu-Pou, toujours établi à Su-Tchéou, passait sa vie dans les festins. Un soir qu’il traitait Tchin-Kouey et son fils[2], ces deux personnages (attachés à sa perte) le flattaient par leurs discours. Tchin-Kong s’en irritait ; il trouva même l’occasion de dire tout bas à l’oreille de Liu-Pou : « Les deux hommes qui vous encensent, général, veulent vous perdre, j’en ai peur…. Prévenez leurs mauvais desseins, il le faut… — Et vous, répliqua le guerrier d’une voix irritée, arrière avec vos calomnies, qui tendent à ruiner des mandarins fidèles et vertueux ! Qui d’eux ou de vous est le flatteur ? Si je n’avais égard à d’anciens services, je vous ferais décapiter à l’instant. — J’ai un cœur loyal et fidèle, reprit Kong en soupirant ; il ne veut pas y lire la vérité… ; avant peu il sera puni de son aveuglement ! »
Kong était prêt à donner sa démission (à quitter ce maître aveugle et insouciant pour retourner près de Tsao) ; la[3] crainte de s’exposer à la risée de tout l’Empire l’arrêta. Plongé dans de tristes réflexions, silencieux, il s’en alla chasser du côté de la ville de Siao-Pey (ou résidait Hiuen-Té), emmenant avec lui une dizaine de cavaliers. Tout à coup passa devant lui un homme à cheval qui galopait ventre à terre ; agité de quelques soupçons, Kong s’éloigne des chasseurs avec ses affidés, se jette sur les traces de ce courrier par une route écartée, et l’aborde en lui criant : « Pour le service de qui faites-vous cette course ? »
- ↑ Le mot ministre d’état est pris tel quel dans Morrison.
- ↑ Voir plus haut, page 34.
- ↑ Voir plus haut, page 10. Nous avons développé ici le sens du texte. Si Tchin-Kong craint de s’attirer la risée de ses contemporains, il lui passe donc dans l’esprit de retourner auprès de Tsao, qu’il a déjà abandonné une fois (vol. Ier, page 79), et dont il a été plus tard fort mal reçu (vol. Ier, p. 174) ; enfin devant qui il ne peut reparaître sans honte.