Page:Theuriet - Les Paysans de l’Argonne, 1870.djvu/12

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Hors d’haleine, tremblant de hâte et de colère,
Le doyen des fermiers leur raconta l’affaire,
Et quand il eut fini, le maître charbonnier
Remplit sa poire à poudre et boucla son carnier.
C’était un grand vieillard aux traits durs et moroses,
Il avait vu beaucoup de pays et de choses,
Et savait lire : « Amis, leur dit-il, vengeons-nous,
Vengeons-nous dès ce soir !… Ces Prussiens sont des loups
Qui nous dévoreront, si nous les laissons faire.
Ils nous prendront jusqu’au dernier lopin de terre,
Ils viendront se gorger de notre vin vermeil
Et dégourdir leur sang à notre chaud soleil…
Nous sommes la lumière ; eux, ils sont les ténèbres !
Donc, en marche, et traquons à mort ces loups funèbres !
Je sais où doit passer un de leurs régiments.
Venez tous, et ce soir, contre les Allemands
Ce que nous défendrons, avec notre existence,
Ce sera le joyeux et libre sol de France ! »

Il dit et se leva. Son profil maigre et fier
Se découpait en noir sur le couchant d’or clair.
Ayant pris son fusil, il partit, l’air tranquille,