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II
LA SECONDE ÉMIGRATION
Le départ des Élites.
Qu’il soit centripète ou centrifuge, le caractère européen qu’a pris, à la fin du XVIIe et à la fin du XVIIIe siècle, la littérature française, est dans la dépendance de deux courants d’émigration, qui ont la même cause, le fanatisme unitaire, et qui aboutissent au même résultat, l’émigration d’une élite. En 1789, les Parisiens du faubourg Saint-Antoine ont démoli la Bastille avec le même enthousiasme que leurs grands-pères avaient employé à jeter bas le temple protestant de Charenton. Pareillement, comme l’a montré Alhert Sorel, les légistes de la Révolution n’ont fait qu’appliquer aux émigrés et au clergé le droit que les légistes de Louis XIV avaient créé pour dépouiller les religionnaires et détruire leurs familles. Or l’émigration protestante avait produit, depuis Bayle, une littérature française à l’étranger, et même ce style qu’on a appelé style réfugié. La grande différence entre cette première émigration et la seconde, c’est que les émigrés de la Révolution sont rentrés, après un temps qui fut à peu près celui de la guerre de Troie, — qu’au terme de leur Odyssée il y a un Retour, — et que l’influence littéraire de l’émigration se manifeste moins à l’étranger par son séjour qu’en France par ce retour.

Quand, dans les cités antiques, le peuple entrait en lutte avec l’aristocratie, il trébuchait sur cette difficulté, que les familles nobles possédaient la clef du culte, des rites, des sacrifices, des auspices, et que s’il pouvait les supplanter dans l’exercice du pouvoir, il manquait non d’initiative mais d’initiation pour mettre la cité en rapport avec les dieux. En