l’a sauvé, pour M. Maurras, du biblisme et du monothéisme. Il a conservé de la culture antique tout ce qui pouvait en être conservé. Il a filtré la Bible par le contrôle des clercs et par l’autorité de la tradition. Par lui l’humanité supérieure a été gardée du monothéisme juif, inoculé à dose atténuée, peut-être un peu comme M. Maurras a été sauvé de l’anarchie intérieure contre laquelle son tempérament a dû lutter : « Le catholicisme propose la seule idée de Dieu tolérable aujourd’hui dans un État bien policé. Les autres risquent de devenir des dangers publics… Depuis que ses malheurs nationaux l’ont affranchi de tout principat régulier et souvent de tout sacerdoce, le Juif, monothéiste et nourri des prophètes, est devenu — M. Bernard Lazare et James Darmesteter ne nous le cachent point — un agent révolutionnaire[1]. »
Je laisse de côté la critique propre du monothéisme, incorporée de près aux idées religieuses personnelles de M. Maurras, et que nous retrouverons en son temps. Mais le tour dialectique par lequel il emploie au service direct de l’Église romaine sa haine de la Bible et du biblisme n’est pas dépourvu d’ingéniosité. Il en fait un argument en faveur du monarchisme religieux, une objection contre toute tendance à l’autonomie nationale en matière de religion. Dans l’Église, selon lui, toute autorité enlevée au pape passe au livre, toute perte de l’autorité romaine profite à l’autorité de la Bible, à sa lettre, « et cette lettre, qui est juive, agira, si Rome ne l’explique, à la juive ». Rome est notre rempart contre le judaïsme : « En s’éloignant de Rome, nos clercs… vous feront cingler peu à peu vers Jérusalem. Le centre et le nord de l’Europe, qui ont déjà opéré ce recul immense, offrent-ils un exemple dont vous soyez tenté ? Pour éviter une autorité qui est essentiellement latine, êtes-vous disposé à vous sémitiser ? Je ne désire pas à mes compatriotes la destinée intellectuelle de l’Allemand ou de l’Anglais, dont toute la culture, depuis la langue jusqu’à la poésie, est infectée d’hébraïsmes déshonorants[2]. »
Au contraire « le trait distinctif de notre race, dans ses heures de puissance et de perfection, est d’avoir échappé à cette influence directe de la Bible. Le biblisme de Bossuet a traversé le prisme grec et latin avant de s’épanouir en français. Les tragédies bibliques de Racine ressemblent aux scènes bibliques de Raphaël, elles se jouent devant