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un portique gréco-romain. Notre langue, notre pensée, nos arts, bien qu’ils aient été cultivés et développés par des clercs, sont soustraits au génie sémite[1]».

L’hébraïsme de Milton est déshonorant, non celui de Bossuet, qui, lui, est filtré. Mais qu’y a-t-il de plus classique, de plus plein, de mieux lié, — et en somme de plus opposé à l’agglomération et à la succession mécanique du discours dans les langues sémitiques — que les grands morceaux et même l’ensemble du Paradis Perdu ? Je trouve le « puritain » Milton bien plus homérique que ce grand « Italien » de Shakespeare que M. Maurras lui oppose complaisamment comme un génie non sémitisé. On peut, en lisant trois assez bons livres du P. de la Broise, la Langue Française et l’Ancien Testament, de Trenel, la Bible dans Bossuet, la Bible dans Victor Hugo, de M. l’abbé Grillet, se rendre compte de ce que l’hébreu et la Bible ont transmis à notre langue et à notre littérature. La distinction de M. Maurras entre le biblisme enchaîné des Latins et le biblisme déchaîné des Germains est-elle autre chose que verbale ? Un juif converti au catholicisme, puis redevenu israélite, M. Pol Lœwengard, a montré, en des pages bien faites, que le génie de Victor Hugo a une figure nettement juive. Je ne doute pas d’ailleurs — songeant à Vigny, aux Harmonies, à la Chute d’un Ange, à l’Ahasvérus de Quinet, au messianisme de Michelet, — qu’un maurrasien ne vît volontiers dans le romantisme, comme dans la ballade de l’apprenti sorcier, les esprits sémitiques remonter et travailler, une fois les disciplines classiques abolies. L’hébraïsme glisse ici sur la pente du déshonneur. La Bible est, comme le « Capharnaüm » si bien nommé du pharmacien Homais, l’armoire aux poisons où Rome seule sait élaborer des remèdes. C’est là que cette Emma Bovary, en laquelle M. Seippel personnifie la France, a été chercher l’arsenic dont elle meurt. M. Maurras, comme le docteur Larivière, arrive en brûlant le pavé. Si c’était trop tard ?

« On croirait à lire M. Maurras, remarque le P. Descoqs, qu’il ne connaît la Bible que par l’Histoire du Peuple d’Israël… Si M. Maurras avait étudié la Bible par lui-même… il n’est pas douteux qu’au lieu d’y découvrir un foyer d’anarchie il y eût bien plutôt retrouvé, à côté de l’action divine, le perpétuel effort de l’humanité construisante. » Même sur notre XVIIe siècle catholique français, ne discernons-nous

  1. Une Campagne Royaliste au Figaro, p. 42.