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à « notre tradition catholique, part intégrante et dominante de la latinité. Les habitudes de l’esprit classique en font ainsi partie ; cette façon de concevoir la science, les lettres, les arts, la vie de société, les disciplines de la pensée y déterminent le goût et même la passion raisonnée de l’ordre. C’est le contraire de l’esprit révolutionnaire[1] ». Et l’esprit révolutionnaire, c’est une Somme chronologique, un bloc analogues : cela va de Luther à la Sorbonne contemporaine, en passant par le puritanisme anglais, Rousseau, la Révolution française, le romantisme français et le pangermanisme. Sauf en ce qui concerne le pangermanisme, qui n’existait pas de son temps, le même bloc se retrouve chez Auguste Comte qui, dans la Politique positive, fait commencer la décadence politique et morale du monde moderne à la Réforme ; ses jugements sur la Révolution comme fait sont un peu confus, mais il s’attaque avec énergie aux idées dites de la Révolution ; enfin, s’il ne s’est guère préoccupé du Romantisme, il n’a pas fait entrer une seule œuvre romantique dans la Bibliothèque positiviste où figurent les chefs-d’œuvre de la poésie classique. Sa table de proscription, et surtout les motifs qu’il en donne, sont en somme les mêmes que ceux de M. Maurras. Et l’origine en paraît bien claire : c’est la distinction raisonnée établie par les saint-simoniens entre les périodes organiques et les périodes critiques de l’humanité. Voilà donc le point où s’amorcent à peu près, dans cette régression et ce passage du flambeau, les idées de M. Maurras. La théorie des périodes organiques ébauchait, au moment même du Génie du Christianisme, sentimental, un Génie du Catholicisme, politique, dont nous trouvons en M. Maurras la forme dernière.

Le protestantisme fut un désastre pour l’humanité, parce qu’il rompit l’unité du « splendide tout catholique » et parce qu’il installa partout où il s’établissait sous une figure avouée ou déguisée le principe du libre examen et la souveraineté du sens propre. M. Maurras le dénonce sous sa forme allemande et sous sa forme française ou plutôt sous les traits étrangers qu’il a donné à la France.

C’est du protestantisme qu’est née l’Allemagne moderne, c’est-à-dire l’ennemi de tout ce qui est français, de tout ce qui est nous-même. « L’Allemand déclare s’être senti devenir lui-même, il a formulé la définition consciente de son quid proprium au jour précis où il a prononcé sa séparation d’avec les principes et les éléments de

  1. Le Pape, p. 253.