Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ennemis de M. Maurras se sont introduits chez nous. Tout le Midi connaît l’histoire de Jarjaye de Tarascon qui, s’étant glissé en contrebande dans le Paradis, ne voulait plus en sortir. Saint Pierre avait essayé en vain de la menace, de la persuasion, des promesses : rien n’y faisait, et l’enfant du soleil répondait à tout par le : J’y suis, j’y reste. Le pauvre portier, prévoyant une histoire terrible, s’arrachait les cheveux. Un brave saint qui passait par là, et qui avait voyagé autrefois dans le pays d’Arles, tira son collègue d’embarras. Deux ou trois anges, bien stylés, s’en allèrent crier à la porte : Li biou, li biou, — les bœufs ! les bœufs ! Le sang de Jarjaye ne fit qu’un tour, il s’élança dehors, pendant que saint Pierre refermait vite la porte derrière le dos de l’indésirable. M. Maurras, en qui Faguet distinguait le sens de la tauromachie, a toujours prétendu trouver au bout du Chemin de Paradis les portes gardées par l’apôtre aux grandes clefs. Je ne veux pas m’immiscer dans ce qui a dû être décidé chez Dieu le Père à son sujet, mais si le Chemin de Paradis, qui figure déjà dans l’Enfer de la bibliothèque d’Action Française, devait figurer par surcroît dans l’enfer de là-haut, et si M. Maurras, avec sa subtilité de fils d’Ulysse, parvenait à introduire dans le royaume céleste, l’Apologie pour le Syllabus à la main, sa figure païenne, je crois bien que le même tour pourrait servir encore et que le cri : La vaco ! la vaco ! le ferait sortir des portes célestes, plume au poing.

Nous toucherons tout à l’heure aux réalités de fait qui sont au fond de ces idées de M. Maurras. Mais on trouvera peut-être beaucoup d’artifice dans cette manière de créer des « chaînes ». Je pense aux successions logiques analogues établies par Brunetière, avec peine et vigueur, dans ses différentes Évolutions de genre, et particulièrement dans l’Évolution de la Poésie lyrique au XIXe siècle. Rousseau — qui est décidément d’un bon usage comme courroie de transmission — servait d’intermédiaire entre la poésie lyrique du XIXe siècle et l’éloquence de la chaire au XVIIe. On remontait alors une chaîne qui commençait comme celle de M. Maurras, par la poésie romantique (Bien cela !) puis continuait par le citoyen de Genève et musicien extravagant (Quand je vous le disais !) et de là allait s’amorcer en Jacques-Bénigne Bossuet (Ah mais non !) Évidemment la recherche de la paternité en cette matière n’est pas interdite. Je parlais moi-même tout à l’heure d’une chaîne possible Maurras-Corote-Saint-Simon. Tout cela c’est une question de mesure Libéralisme et jacobinisme, libéralisme allemand et luthérianisme, « ces choses là, dit M. Maurras, se