tiennent par des chaînes de rapports infrangibles[1] ». Non ; par ces fils de brouillard emperlé qui réunissent, un matin beau, toutes les tiges d’un champ. Aucune de ces chaînes n’est fausse, toutes sont un moyen de mettre en ordre des idées, et la critique que nous en faisons est une manière de constater que cet ordre reste toujours provisoire.
Voici quelques lignes qui feront peut-être bien saisir la façon dont une question de ce genre se pose. « Rien n’empêche, dit Comte (cité par M. Maurras), d’imaginer, hors de notre système solaire, des mondes toujours livrés à une agitation inorganique entièrement désordonnée, qui ne comporterait pas seulement une loi générale de la pesanteur : » Cette imagination du désordre, ajoute M. Maurras, sert d’ailleurs à nous faire apprécier mieux et même chérir (le mot revient souvent) les bienfaits de l’ordre physique qui règne autour de nous et dont nous sommes l’expression la plus complète[2]. Évidemment l’esprit peut tout imaginer, c’est-à-dire, ici tout penser comme possible, mais à condition que ce possible n’implique pas contradiction. La même possibilité d’un monde sans lois, de nébuleuses livrées au pur hasard, a été soutenue, du point de vue de l’empirisme, par Stuart Mill. Si Comte et Mill avaient été familiers avec le Critique de la Raison pure ils n’auraient point avancé de pareilles possibilités, qui sont proprement impensables : nous ne pouvons rien concevoir d’existant sans le penser, et nous ne pouvons rien penser que selon des catégories, c’est-à-dire selon un ordre et dans un ordre. L’homme a besoin d’ordre et son intelligence fait toujours de l’ordre ainsi que M. Jourdain faisait de la prose. Les chaînes comme celles dont nous avons parlé font de l’ordre, en supposant, ainsi que le veut la méthode cartésienne, cet ordre même entre les objets qui ne se suivent pas naturellement. Mais ce qui est aussi intéressant que ce besoin d’ordre c’est cette « imagination du désordre ». Pour que le désordre soit imaginé, il faut nécessairement qu’il soit imaginé comme un ordre (je renvoie à l’analyse célèbre de M. Bergson). Non seulement, chez M. Maurras, il est imaginé comme un ordre, celui de la fameuse chaîne Luther-Rousseau-Kant-Fichte-pangermanisme, ou Luther-Rousseau-Kant-Bloc, mais c’est un diable qui porte sa pierre à Dieu, c’est un désordre dont l’imagination sert à nous faire mieux apprécier l’ordre, et qu’une pia fraus analogue à la phrase impensable