nécessaire de les juger. De quelque forme respectueuse, affectueuse même, qu’il faille envelopper, devant les personnes qui croient en cette idée, le jugement impersonnel que nous devons porter sur elle, il est impossible de l’arrêter sur nos lèvres et de le glacer sous notre plume, à moins de donner notre démission d’être raisonnable, d’animal politique et de citoyen prévoyant.
» Ce n’est pas persécuter les protestants que de compter les destructions nées du protestantisme en Europe. Ce n’est pas organiser les massacres et provoquer l’intolérance que de constater courtoisement cette vérité objective que le protestantisme a pour racines obscures et profondes l’anarchie individuelle, pour frondaison lointaine et pour dernier sommet l’insurrection des citoyens, les convulsions des sociétés, l’anarchie de l’État.[1] »
Il faut donner acte à M. Maurras qu’il mène un combat d’idées. Et c’est avec un juste usage des termes qu’il prétend le mener en tant qu’animal politique. En partie par nature, en partie par nécessité des temps où il lutte, M. Maurras possède un cerveau d’État, pense avec une raison d’État. « Politique d’abord » et « Nous ne sommes pas des gens moraux ». Tous ces termes flamboyants et courroucés qu’il emploie pour désigner les tristes résultats du protestantisme, ces passages de l’apoplexie dans la privation de la vie où conduit la folie luthérienne, signifient en somme l’usurpation qu’étend la conscience individuelle sur le domaine de l’État et sur le domaine du pouvoir ou des pouvoirs spirituels.
Mais son autre grief français contre le protestantisme est plus particulièrement politique. Il regrette que catholiques et protestants n’aient pu, dans le passé, se tendre la main comme Crillon et Lesdiguières après s’être battus tout un jour sur la brèche de Sisteron. Aujourd’hui il est trop tard pour bien faire. Depuis cette époque, en effet, « catholiques et protestants firent bande à part, et, tandis que les plus nombreux, les plus puissants, les mieux placés continuaient le large courant de la tradition nationale à l’ombre des vieilles églises, des antiques mœurs, et de la Royauté, le protestantisme s’organisait aussi en province distincte, en diocèse moral et mental tout à fait séparé, sorte d’ilôts qui ne communiquaient que par certains ponts très étroits avec le reste de la vie française : mais de larges chaussées, de nombreuses passerelles, de spacieuses levées de terre, rejoignent
- ↑ La Politique Religieuse, p. 47.