Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/117

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au contraire le monde huguenot français à l’Allemagne (par la Suisse), à la Hollande, à l’Angleterre…[1] »

Ce sont des faits, M. Maurras veut qu’on les constate, et non qu’on en cherche la cause. « C’est une manie bien libérale d’évoquer le fantôme des responsabilités où cette notion n’a que faire. Il est toujours facile de charger Louis XIV, d’inculper Coligny. » L’Ulysse de Martigues, le « monstre de souplesse ! » C’est peut-être dans l’histoire de France du P. Loriquet, en deux petits volumes non signés où ne se trouve pas malheureusement la phrase fameuse, qui au moins eût été spirituelle, sur Buonaparte, ou bien c’est dans le manuel de Mélin que j’ai lu autrefois que les huguenots, lors de la Révocation, « ne rougirent pas de porter à l’étranger les secrets de notre industrie ». De la même encre M. Maurras leur reproche les chaussées, les passerelles, les levées de terre qu’édifia Louis XIV avec son confesseur pour Vauban. — À quoi bon chercher des responsabilités quand il n’y a qu’à constater des faits ? Ou plutôt faisons un marché. Qu’on ne parle pas de Louis XIV et je ne parlerai pas de Coligny. Et j’y aurai du mérite, car vous n’ignorez point que ce scélérat… — Pardon. Coligny date de l’époque où les protestants et les catholiques se battaient. Les guerres de religion furent atroces de part et d’autre, et je conviens que les protestants furent politiquement plus coupables, en ce qu’ils les commencèrent. Je conviens que la monarchie devait surveiller et contenir des turbulents qui d’ailleurs, une fois matés par Richelieu, avaient cessé d’être dangereux. Mais enfin l’Édit de Nantes et celui d’Alais avaient donné à ces fractions de la famille française une charte de paix religieuse. La monarchie de Louis XIV a rompu cette charte, elle a causé par la Révocation une partie des malheurs de la France. La Révocation s’est traduite par les ruines matérielles que vous savez. Elle s’est traduite par des ruines sociales : les émigrés protestants appartenaient aux classes moyennes, garantie de stabilité pour un État, comme le protestantisme est lui-même une classe moyenne de la religion, de la pensée et de la culture, également éloignée de certains sommets et de certains bas-fonds (il est intéressant que le protestant Guizot ait été le théoricien politique et le ministre de ces classes). Elle s’est traduite par une ruine diplomatique et militaire qui a arrêté net l’arrondissement de la France vers l’Est. Comme le dit Sorel, elle « unit l’Empire à l’Empereur… Les catholiques d’Alle-

  1. La Politique Religieuse, p. 43.