M. Maurras, blanc du Midi, a vu de la tour Magne la question protestante. On ne saurait juger du reste de la France par les arènes de la politique nîmoise et par les passions du pays des biou. M. Gaston Japy, à une lettre de qui répondait l’article de M. Maurras où j’ai pris ces dernières citations, avait toutes raisons de s’étonner. J’écris précisément ces pages sur M. Maurras, cet hiver de 1917, à Beaucourt, où les hasards de la vie militaire me fixent quelques semaines. C’est le siège de la grande famille industrielle des Japy, et la partie de la France où le groupe protestant est le plus dense. Or, dans tout ce pays luthérien de Montbéliard, la question protestante n’existe pas. On tirerait même ici des faits certaine vague confirmation des vues de Renouvier lorsqu’il voyait dans la protestantisation de la France un moyen de paix sociale. À une dizaine de kilomètres de Beaucourt, la famille Viellard représente comme les Japy une puissante féodalité industrielle. Les Viellard sont catholiques militants et grands constructeurs d’églises et d’écoles libres ; les ouvriers de Morvillars, où notre compagnie passa le dernier été à élever des baraques Adrian, déclarent en général que ce n’est qu’en hantant ces églises et en peuplant ces écoles que l’on obtient avancement et faveurs. Mais il est indifférent aux Japy, cela va de soi, que leur personnel fréquente ou ne fréquente pas le temple, l’église, la synagogue, voire même la mosquée pour laquelle, pas loin d’ici, le docteur Grenier menait sa réclame. Les Viellard et les Japy sont des industriels également honorables et d’une philanthropie pareillement active, qui appartiennent les uns et les autres au monde conservateur : n’est-il pas vrai cependant que, dans la France d’aujourd’hui telle que son histoire l’a faite, le protestantisme des Japy écarte automatiquement certaine cause d’antagonisme ? — Vérité à Beaucourt, erreur à Nîmes. — Eh je sais bien. Raison de plus pour que M. Maurras, à l’imitation de Frédéric Amouretti, tempère un peu de Maistre et Comte par le Bottin des départements.
Mais c’est de l’extérieur plutôt que de l’intérieur que Renouvier tirait la principale raison de son mouvement utopique et uchronique. La décadence des peuples catholiques et la prospérité des peuples protestants au XIXe siècle est le principal argument qui paraît infirmer les vues d’Auguste Comte et de M. Maurras sur le protestantisme instrument d’anarchie, de désordre et de faiblesse sociale. Depuis la Réforme qui marquerait le principe de la décadence politique de l’Europe, les faits ne semblent point marcher dans la voie qu’ont cru discerner les auteurs de la Politique positive et de la Politique Religieuse.