Réalisme et définition vont de pair, l’un est la face ontologique et l’autre la face logique d’un même concept. Il est inutile de ramener encore des chaînes de noms pour montrer que cette conception de l’esprit et du style classique n’enferme que la moitié de cet esprit et de ce style, leur état de statique et de synthèse, et non de dynamique et d’analyse. Mais en somme ces manifestations de réalisme congénital à l’esprit de M. Maurras sont assez secondaires si on les compare à ses formes et à ses formules politiques. Dans l’ordre de l’esprit, qu’il s’agisse de philosophie ou de poésie, le stable et le défini, le mobile et l’indéfini peuvent s’équilibrer, se rectifier, vivre l’un par l’autre. On peut même dire en somme que la philosophie dans son ensemble depuis Socrate jusqu’à Bergson, serait plutôt une école d’idéalisme, de mobilisme et de critique, que ses jeux suprêmes paraissent, de ce côté, porter sur des pointes délicates, sur des valeurs qui se dérobent, sur des limites pareilles à celles où la poésie pure hallucina Mallarmé. Mais en politique c’est différent. L’animal politique peut être évidemment un animal poétique et métaphysicien, mais il ne le sera pas d’une manière suprêmement raffinée. L’État, à moins d’être Néphélococcygie, doit consister en du réel, s’appuyer sur du solide, se fonder sur de la pierre et non s’écrire sur de l’eau. Tout ce réalisme intellectuel de M. Maurras ne vaut que comme prélude à son réalisme politique.
Ce sens du solide et du réel ne lui permet pas d’être républicain. « On est patriote, on est royaliste avec quelqu’un pour quelque chose. On est républicain surtout contre quelqu’un, pour repousser et désavouer quelque chose… La démocratie vénère obscurément l’anarchie comme son expression franche, hardie et pure[1] ». L’esprit républicain se confond avec l’idéologie anti-réaliste. Un certain idéalisme est peut-être la condition nécessaire de l’esprit philosophique. Il est le contraire de l’esprit politique : la corporation des professeurs de philosophie, en fournissant à la République une partie éminente de son personnel politique, a remis beaucoup d’idéologie là d’où il aurait fallu en déblayer. Il me souvient d’une formule qui se répétait souvent au temps de l’affaire Dreyfus : La patrie est une idée, elle n’est pas une idole. On entendait par le terme péjoratif d’idole ce qui, ainsi que les images païennes pour les juifs, avait la grossièreté d’exister en pierre et en bois, sinon en chair et en os. Quitte à la voir traiter d’idole, ce qui lui serait peut-être indifférent, M. Maurras ne conçoit la patrie
- ↑ Kiel et Tanger, p. LXXXVI.