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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/149

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que comme une réalité. Réalisme = royalisme. Res = rex. « Le monde moderne perçoit les périls dont l’environnent l’anonymat, l’impersonnalité, l’irresponsabilité, du pouvoir collectif. On veut désormais que l’État soit une personne avec une tête et des membres, une cervelle, un cœur, des entrailles vivantes, quelqu’un enfin à qui le public puisse dire comme autrefois : l’État c’est vous[1] ». Il voit l’État avec ces caractères d’humanité et de vie qui apparaissent dans une œuvre d’art comme dans une production de la nature. « Nous ne faisons ni ontologie ni métaphysique politique. Nous savons que les sociétés humaines ne sont des êtres animés que par métaphore, nous avons assez critiqué l’organicisme social pour y tomber le moins du monde… Tout adversaire qu’il fût de l’organicisme, Tarde n’estimait pas illogique de souhaiter à un État de se rapprocher autant que possible du modèle d’organisation représenté par l’esprit humain, et, puisque les États se développent dans la durée, de lui désirer, par exemple, de ne pas se composer d’impulsions contradictoires et de lier le mieux possible les instants successifs dont il est formé. Un État florissant ressemble à l’âme humaine, sui conscia, sui memor, sui compos… Ce n’est point là une simple vue de philosophe. Les plus médiocres artisans de la politique l’ont compris[2]. »

Réalisme qui, allié aux idées et aux sentiments nationalistes de M. Barrès, a déterminé depuis quinze ans une conception vivante de l’État et de la patrie, a fait descendre d’un pâle ciel oratoire et abstrait la notion substantielle de la France, a matérialisé pour les yeux qui ne la voyaient pas la figure architecturale de l’Église. La force plastique de la pensée de M. Maurras peut être, comme les groupes qui se développaient au fronton des temples grecs, un bienfait public. Cela ne doit pas nous empêcher de la considérer techniquement comme un cas privilégié d’une forme générale d’intelligence.

L’idéalisme consiste à faire des idées avec des choses, à oblitérer là réalité sensible, physique, visible ou pensante pour en garder seulement un signe, pour la retirer toute en une idée. L’idéalisme politique procède de même. Il absorbe volontiers la réalité de la France dans les idées qu’elle est censée personnifier : c’est la théorie de la France mais… que M. Maurras a poursuivie avec une verve inlassable. Le réalisme politique de M. Maurras, aussi radical et intégral que l’est

  1. Kiel et Tanger, p. CVI.
  2. Id., p. xxx.