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que lui les droits et le primat de l’Unité. Peut-être sont-ils moins nés, pour lui, de l’unité qu’il trouve en lui que de l’unité qu’il n’y trouve pas, dont le désir le hante et dont la beauté extérieure le fascine. « Lorsque nous concevons un régime type pour fournir une règle à notre jugement ou un modèle à nos programmes de réforme, nous sommes obligés d’y comprendre le règne de l’unité morale et religieuse ; de plus, quand nous songeons à ce qui nous éloigne de cette unité exemplaire, nous éprouvons les émotions qui conviennent à notre cas, une tristesse mâle et grave où le désir s’unit salutairement au regret[1]. »

Cette idée de l’unité morale et religieuse est une idée catholique. M. Maurras la prend, la pèse et l’admire sous cet aspect. Mais il ne laisse pas de lui voir, à diverses occasions, une forme morale et politique plus générale où elle apparaît plus claire et plus nue que dans sa solide réalisation romaine.

L’unité morale et religieuse née d’un consensus spontané entre les volontés, d’une vue pareille chez toutes les intelligences, n’a évidemment jamais existé. Pratiquement cette unité implique la discipline, non seulement consentie, mais imposée ; tout conformisme est produit par une coercition possible et la produit. C’est dire que l’idée de l’unité se confond ici avec celle de l’ordre et l’idée de pluralité avec celle de liberté.

C’est un des problèmes auxquels la pensée de M. Maurras a essayé de s’appliquer, avec le plus de vigueur et de netteté, sur un parvis supérieur d’idées pures. L’ordre et la liberté sont envisagés en eux-mêmes, dans ce rayon indivisé qui ne s’est pas encore bifurqué entre l’individuel et le social. « Platon dans la République se sert du social pour découvrir l’individuel. Il ne paraît point illégitime ni superflu de suivre un ordre inverse, et de rechercher dans la vie individuelle de la pensée le prototype, le modèle simplifié de ce qui se passe dans la vie sociale et politique. Ce procédé permet l’étude du problème de la liberté et de l’unité sur le terrain le plus neutre, le moins irritant, et sans diminuer la rigueur de cet examen ; si, en effet, ce que je dis de la subordination du principe de liberté est trouvé juste quand on l’applique à la vie solitaire d’un seul esprit humain, les mêmes conclusions seront d’autant plus vraies, et à plus forte raison, appliquées au fonctionnement de la société[2].

  1. La Politique Religieuse, p. 108.
  2. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 202.