Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/162

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romaine de clergé qui veille professionnellement sur l’unité de foi et l’orthodoxie des doctrines. Aucun esprit ne touche des bornes spirituelles qui le refoulent et le meurtrissent. Cette liberté est-elle le résultat du polythéisme, ou le polythéisme était-il donné aux Hellènes dans leur besoin même de liberté spirituelle ? Même réponse que tout à l’heure. Enfin le moyen âge chrétien a exclu, il est vrai, les formes de la divergence religieuse ; mais la diversité des dévotions, le culte de milliers de saints, la multitude et l’opposition des sectes philosophiques, les luttes religieuses, soit sur des questions de personne soit sur des raisons de dogme, ont maintenu à l’intérieur du christianisme la riche multiplicité, la vie ardente et touffue du monde antique. Le « à très bon droit » de M. Maurras signifie peut-être bien que les sociétés auraient dû exclure ces divergences, qu’elles ont eu le malheur de ne pas l’avoir fait suffisamment, et qu’elles en sont mortes. Louer quelqu’un d’avoir fait ce qu’il aurait dû faire et n’a pas fait, c’est peut-être un moyen de l’amener à le faire, — à condition qu’il en soit encore temps.

Et pourquoi ne serait-il plus temps ? M. Maurras a une politique religieuse. Il a même écrit sous ce titre un livre qui est un chef-d’œuvre. Or sa politique religieuse ne me paraît pas différente de celle qu’il eût souhaitée chez les empereurs, en des lignes qui furent souvent incriminées, lorsqu’il leur reproche d’avoir été de mauvais tuteurs du paganisme expirant. La Politique Religieuse comme l’Enquête sur la Monarchie propose les moyens par lesquels l’État se montrera bon tuteur des biens spirituels qui nous restent et sauvera au moins les lambeaux ou les fantômes de l’unité perdue.

« Déchus de ce bonheur », l’unité religieuse, M. Maurras et les siens ont cherché « une trace, une ombre, un reflet », une unité du second degré que voici : « Les hommes qui ne s’accordaient pas sur le point de savoir si le catholicisme est le vrai, ont reconnu qu’il est certainement le bien. » Dès lors l’unité du second degré ne pourra se faire que sur le terrain du bien. Il ne peut pas être question d’extirper par le fer ou le feu nos sujets de grand désaccord : le souci du bien public ne le permet que dans les cas où l’arrachement se ferait sans produire de plus grands maux, dont le risque est ici certain. » Observons que M. Maurras accueille un peu froidement une autre unité religieuse qui serait plutôt du troisième degré, celle qui se ferait non sur le vrai ni sur le bien, mais sur le beau, celle qui reconnaît que le catholicisme c’est le beau, celle du Génie du Christianisme et de la Grande Pitié des