L’unité de M. Maurras, c’est son Uchronie. Il place ses Salentes dans le passé comme les socialistes mettent les leurs dans l’avenir. Je ne veux pas le lui reprocher, car après tout et sous la réserve de l’observation précédente, il n’y a pas d’histoire intelligente et constructive qui ne doive le faire dans une certaine mesure. Ce qui me paraît plus étrange ce sont ces lamentations qui, chez lui comme chez Auguste Comte, remontent si loin. Ah ! sans la Réforme ! sans la Révolution ! sans le Romantisme ! Si Luther avait passé ses jours dans un fond de basse-fosse ! Si les porcelets avaient mangé le petit Jean-Jacques ! Si les gitanes d’Andalousie avaient volé vers 1809 ce garçonnet du comte Hugo ! « Sire, disait à François {{{{Ier}}}} un Chartreux de Champmol en lui montrant le crâne fendu de Jean-sans-Peur, voilà le trou par lequel les Anglais sont entrés en France. » C’est par des petits trous de rien du tout, à commencer par « l’échancrure de Genève et de Coppet » que tous les fléaux se sont déchaînés chez nous. Et, à leur commencement, un peu d’énergie eût suffi à les obturer. M. Maurras a vu ce qui s’est passé quand les dreyfusards constituèrent, comme on disait, leur Syndicat. Au début tout ce monde eût tenu, selon le mot de Quesnay de Beaurepaire, dans la largeur d’un coup de filet. Il y eut ainsi au début de toutes nos maladies sociales, l’heure du coup de filet, qu’il fallait saisir pour éviter l’heure du coup de chien. Tout cela c’est une recherche du péché originel de notre société, péché que M. Maurras aperçoit après Auguste Comte dans le serpent Luther et la pomme du libre examen. Mais l’Église elle-même a fini par se consoler de la faute d’Adam en chantant : Felix culpa quæ talem meruit redemptorem. Nous avons vu que ces courants d’idées ont déposé pour M. Maurras les matériaux dont est faite sa digue des Martigues. Il est d’ailleurs curieux que Fustel de Coulanges — si admiré de M. Maurras — ait construit sur le même rythme sa Cité Antique : reconstitution de la cité antique primitive et idéale autour du culte des morts, de γένος (genos) et du βασιλεύς (basileus), et temps de l’histoire écrite, dramatique et vivante ne nous présentant que sa pente descendante, sa décadence. Ainsi M. Maurras : « La patrie sans les dieux, la France sans l’invocation au Dieu qui aima les Français, sont des concepts dégénérés. Combien nos pères étaient heureux d’unir à leur enthousiasme pour cette terre de leur tombe et de leur berceau leurs belles espérances d’un céleste asile éternel ! Autre malheur : voilà deux cents ans, ce catholicisme profond unissait moralement la France à une moitié de l’Europe ; au moyen-âge le catholicisme avait fait de l’Europe entière un seul peuple. Du XIIIe siècle