Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/170

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au XVIe, du XVIe au XXe, la décadence est double. On n’y peut rien ? On peut toujours éviter de prétendre qu’on a gagné quand on a perdu. Un pis-aller inévitable, mais cruel, n’est pas un profit ; ce qui peut être profitable, c’est de s’en souvenir[1]. »

C’est bien cela. Vivre dans la division parce qu’il le faut, mais penser et serier ses valeurs du point de vue de l’unité, parce qu’elle est, pour le poète et pour le logicien, un moyen du beau et du vrai, et de ces sources intellectuelles transporter dans la réalité les ombres et les restes que comporte cette unité perdue. De là les principaux points d’appui de la pensée de M. Maurras, l’idée de l’Église et l’idée de la monarchie, l’idée du pape et l’idée du roi, l’idée de tout ce qui unifie avec précision et vie dans l’ordre de l’individuel et dans l’ordre du social. De là cette belle passion logique de l’unité qui dépasse encore ses objets, car ces objets sont des moyens dont l’Unité abstraite, belle par elle-même à la façon de l’Un éléate, est la fin. La monarchie n’en constitue que le moyen : « J’aurais ligué, nous dit M. Maurras, jusqu’à la conversion du roi huguenot, mais pas après. » Et si l’Église défaillait, M. Maurras indique légèrement de nouveaux moyens d’unité éventuelle, à peu près comme ces Rêves qui font la troisième partie des Dialogues Philosophiques. « Il y aurait l’Islam si le positivisme n’existait pas[2]. » Entendons bien que lorsque M. Maurras désigne ainsi la Mecque ou la rue Monsieur-le-Prince, c’est par une manière de jeu et pour faciliter à ceux qui savent lire le repérage de ses directions. Autrement, déjà signalé par le clergé démocratique comme païen et comme athée, il ne lui manquerait plus que d’être marqué comme adepte du docteur Grenier. Rome seule demeure le symbole et le signe vivant de l’unité parce qu’elle est le symbole et le signe de la perpétuité. Le Romanus sum de M. Maurras ne s’applique pas seulement à la Rome qui unifie le divers de la vie simultanée, mais à la Rome qui dessine au long du successif sa chaîne de perpétuité, et le caractère de la monarchie est non seulement d’unifier par l’ordre, mais d’unifier par l’hérédité et par la tradition, le progrès n’étant, selon la formule positiviste, que le développement de l’ordre.

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 213.
  2. Id., p. 214.