brouillards de l’infini sa propre image, mais informe et démesurée. Cette image ne trouve plus dans d’autres images sociales ce que Taine appelait des réducteurs antagonistes, et le champ de l’hallucination lui est ouvert. Le dieu unique des Juifs est un produit du désert. On ne l’imagine point né dans une Grèce toute humanisée, dans ce que Curtius appelle le caractère doux et bienveillant de la mer Egée. Sortie à présent du désert, mêlée à cet autre désert, à cet humide poumon marin du marais martégal, cette importation juive « pourrit les passions d’une ridicule métaphysique ». Le monothéisme les pourrit en ce sens qu’il les justifie et les divinise par l’appel direct de l’homme à Dieu, appel au moyen duquel l’homme élude l’ordre terrestre, autorise de Dieu ses fantaisies et ses caprices. Ainsi, chez les anciens Israélites, « les prophètes élus de Dieu en dehors des personnes sacerdotales furent des sujets de désordre et d’agitations[1] ». L’estime de M. Maurras pour l’anarchiste Proudhon irait-elle jusqu’à le faire souscrire au mot de ce destructeur : « Dieu c’est le mal ? » Peut-être, mais certes pour des raisons non proudhoniennes, pour des raisons « archistes » et parce que, pour M. Maurras, Dieu n’est le mal que comme principe même de l’anarchie.
S’il ne peut admettre l’idée d’un Dieu individuel, c’est exactement du même fonds dont il écrit son Contr’un et qui lui défend d’admettre la personne humaine considérée comme fin, l’individu divinisé. Qu’est-ce que l’amour humain sinon la divinisation d’un individu ? Et c’est pourquoi si, défendu heureusement de l’amour divin, on a été subjugué par l’amour humain, il ne faut pas aimer cet amour, il faut le craindre, le subir avec inquiétude, le référer à sa mauvaise conscience, y trouver l’âpreté substantielle et solide d’une résistance et d’un péché. Alors d’une part l’amour est saisi, embrassé dans l’intégrité de son désespoir sombre, peut-être dans cette conscience du péché dont le catholicisme augmentait pour Baudelaire la profondeur d’une sensation, et d’autre part l’ordre social demeure intact, mis par cette ombre en une plus éclatante lumière. L’amour immodéré, l’amour absolu, qu’il soit de Dieu ou qu’il soit de l’homme, ramène l’âme humaine à la confusion de ces marais de Marthe dont il semble que M. Maurras garde la vive image comme celle d’une poche de l’enfer dantesque. Parlant, dans le Romantisme féminin, de la Nouvelle Espérance, le roman aigu de madame de Noailles, il en écrit : « Un prêtre catho-
- ↑ Trois Idées Politiques, p. 61.