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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/186

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pas moins le même but, l’établissement de plus en plus strict de la loi.

L’idée du pouvoir spirituel, telle que l’Église catholique l’a transmise à Comte et à M. Maurras, est une idée juive. Elle apparut dans l’intelligence des Grecs comme une pensée philosophique organique et complète, elle ne put trouver le moindre interstice par où pénétrer dans la vie publique. On n’en parla plus à Crotone après que le parti démocratique eût mis le feu à l’Institut pythagoricien, ni à Athènes, après qu’elle eût conduit Socrate au tribunal et à la ciguë. Platon l’a formulée dans les Lois avec une singulière ampleur, mais, n’ayant jamais reçu dans la cité un commencement de réalisation, elle disparut même, après Platon, de toutes les écoles philosophiques.

Au contraire le type de l’Église catholique se trouve déjà complet dans la nouvelle fondation de Jérusalem par Esdras, et c’est du fond même de l’État juif que l’Église nouvelle reçoit le principe et l’idée du pouvoir spirituel. Mais dès les origines, aux sources mêmes de l’Église, apparaît aussi la force antagoniste qui de façon ouverte ou secrète luttera toujours contre ce pouvoir. Le conflit de Pierre et de Paul à Antioche s’étend plus loin qu’à un débat sur la circoncision. C’est contre le judaïsme que se formule la théologie paulinienne, telle que la reprendront Luther directement de Paul, et Jansénius par l’intermédiaire d’Augustin. La justification par la foi, voilà l’acte décisif par lequel ce Juif hellénisé de Tarse rompt avec la synagogue, qui avait déjà reconnu dans le Royaume de Dieu tel que l’enseignait Jésus le contraire de la justification par la loi. De sorte que, d’un certain biais, la justification luthérienne par la foi remonterait, autant que l’autorité interposée de la Bible, pouvait le permettre, aux sources de l’individualisme philosophique ancien, et que le retour protestant au livre juif implique le contraire de la loi juive, c’est-à-dire de la parole de Dieu interprétée et défendue par le pouvoir spirituel d’un corps sacerdotal. Ainsi encore, politiquement une des causes de la Réforme fut l’esprit de la cité antique ressuscité par l’humanisme, un retour au droit romain qui impliquait, contrairement à la théorie catholique des deux pouvoirs, la totalité de la puissance entre les mains du prince et ce cujus regio ejus religio si contraire à la doctrine du Siège romain.

L’homme extraordinaire qui releva contre la Réforme l’armée autonome du pouvoir spirituel, Ignace de Loyola, eut pour ami intime et pour collaborateur un Juif converti, Polaco : hasard peut-être, mais instructif. La Société de Jésus eut pour but de reconstituer avec les moyens les plus politiques et les plus savants une société théocratique