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féminin, en leur conflit et en leur harmonie sous les apparences du dorique et de l’ionique, la loi et le sens de la beauté qu’ils installèrent sur leur rocher. Pour qu’elle fût vivante et pour qu’elle engendrât, ils lui donnèrent une nature sexuée. Ici comme dans la vie sociale, l’élément primitif fut non l’individu, mais le couple. Celui qui construit selon des règles athéniennes son Acropole intérieure y retrouve ou y reproduit les éléments dont se meubla le rocher de Cecrops : le grand temple dorique, aire d’intelligence et de lumière au fronton duquel les premiers rayons du soleil suscitent toujours la naissance de Pallas ; le temple ionique, paré de toutes les élégances amoureuses, qui garde les anciennes racines et les vieux cultes, et de l’un à l’autre le regard des Cariatides ioniques qui pensent le Parthenon qu’elles contemplent, qui par la patience et le feu doux d’une intelligence en acte incorporent tout le dorique dans les lignes de leur attitude et dans les cannelures de leur robe. Cariatides placées là pour que les Idées de lumière se réalisent comme des images de marbre et les images de marbre comme des personnes de chair.

II
LES DEUX ORDRES

« Rarement les idées m’apparaissent plus belles qu’en ce gracieux état naissant, à la minute où elles se dégagent des choses, quand leurs membres subtils écartent ou soulèvent un voile d’écorce ou d’écaille, et, dryade ou naïade, se laissent voir dans la vérité de leur mouvement. Alors leur signification ne prête pas au doute ; alors nulle équivoque, nulle confusion n’est commise. La généralité n’est pas encore séparée des idées ou des faits qui l’engendrent et l’éclaircissent ; les éléments qui l’ont créée lui prodiguent vie et lumière, commentaire et explication. Elle n’a pas perdu ce poids, cette vigueur et ces contours solides qui ne peuvent tromper sur la nature des rapports qu’elle soutient avec le monde d’où elle sort[1]. »

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. xxi.