Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/21

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pas ce que cette science sait, ce qu’elle dit, ce qu’elle enseigne de certain : la Science ce n’est pour eux qu’un point de départ d’hypothèses plus ou moins gratuites, romanesques et poétiques[1]. » Ce qu’il admire dans la théologie catholique, c’est l’obligation où se trouve le raisonnement, si délié et si vigoureux soit-il, de dégager du précis et de construire du solide. Le royalisme, qui veut une personne, un intérêt de chair et d’os, d’esprit prévoyant et agissant derrière le concept abstrait de l’État, le royalisme de M. Maurras est un réalisme. Rex, res.

Tel est l’ordre dorique, mâle, de M. Maurras, tel est son Parthenon, et le pavé de marbre qui porte sur sa blancheur le culte de l’Odyssée homérique et l’amour de cette Divine Comédie qu’écrivit un « docteur de l’Être ». L’œuvre dernière qu’il rêverait au delà des plus matérielles besognes politiques, ce serait aussi peut-être quelque Paradiso fait de lumière, identifié à un de Monarchia sous une Idée du Pape et du Roi… Mais à côté de son ordre dorique est son ordre ionique, à côté de son Parthenon son Erechteion. Erechteion où l’Étang de Berre place le vieil olivier de Provence et d’Athènes, où le Romantisme Féminin met les sinuosités du serpent chthonien. « Certes, un enchaînement logique de vérités bien définies, mises à leur place céleste, développe au regard un ordre harmonieux plus satisfaisant pour l’esprit, et le rêve de l’homme est sans conteste de pouvoir s’en composer un jour l’exacte et entière synthèse. Mais cela veut du temps et la vie est très courte. Notre faiblesse humaine souffre du feu supérieur qui l’éblouit, mais qui l’égare. L’esprit est plus sensible à la douce lumière d’une raison demi-mêlée aux réalités naturelles qu’elle fait resplendir en les traversant[2]. » Cet ordre dorique auquel après des années de résistance il a fini par incorporer le sérieux et le poids romains, il établit son primat, mais il l’aime vu d’une nature humanisée, un peu féminisée, — de la Tribune aux Cariatides. La grappe sous la rosée du matin, un mouvement gracieux qui sans le savoir et pudiquement porte la raison comme une tige une fleur, Racine, Léonard…

« Rappelez-vous ces extraordinaires dessins de Léonard de Vinci, dans lesquels la courbe vivante, chef-d’œuvre d’un art souverain, effleure et tente par endroit la courbe régulière, mais tout autrement

  1. La Politique Religieuse, p. 32.
  2. Quand les Français ne s aimaient pas, p. XXI.