Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractérisait nos pères gaulois. Or tout cela fait au parlementarisme, à l’esprit verbal et abstrait de la Révolution l’atmosphère qu’ils respirent.

Bien au contraire le gouvernement des Chambres ou plutôt d’une Chambre, l’omnipotence d’une Assemblée, aurait plutôt des racines françaises qu’anglaises, s’accorderait logiquement à la fois à notre passé monarchique et à notre goût pour la critique et pour la parole. La Révolution se montra beaucoup plus portée à succéder à la royauté par l’institution d’une Assemblée unique qu’à imiter l’Angleterre par la coexistence de deux Chambres dont l’une sert de frein à l’autre. La souveraineté illimitée d’un seul corps parlementaire n’a jamais été une idée anglaise : la question ne s’est même posée qu’une fois, après la mort de Charles Ier, et elle a été résolue immédiatement, presque sans lutte, contre le parlementarisme, au profit du pouvoir non parlementaire, celui de l’armée et de son chef. L’Angleterre est même le pays de ce qu’il y a de moins parlementaire, de plus sainement anti-parlementaire : les fondations intangibles, les corps constitués non par délégation de l’État, mais par un droit propre, égal et antérieur à celui de l’État. L’existence de ces corps, le respect de la personne et de la fonction royale, l’administration décentralisée, l’individualisme anglo-saxon constituent autant de barrages, qui durent encore, contre le parlementarisme.

Voilà pour le parlementarisme. Quant à l’organe politique qui s’appelle un Parlement, il n’est pas davantage une institution née anglaise et restée anglaise. La Déclaration de Saint-Ouen, en 1814, le rattachait un peu artificiellement, mais non tout à fait faussement, aux Assemblées de l’ancienne France. En réalité le Parlement est né du vieux droit de l’Europe féodale, celui de consentir les impôts. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les rois d’Angleterre peuvent ne le convoquer que s’ils ont besoin d’argent, comme nos anciens États-Généraux. La participation du Parlement à la législation, puis au gouvernement, ne s’est presque établie que contrainte et forcée, par suite d’une carence de la royauté. Cette carence, qui est chez nous un fait récent, constitue au contraire, depuis le moyen-âge, le fait capital de l’histoire d’Angleterre. N’oublions jamais que, sauf sous la dynastie nationale des Tudors (ravagée d’ailleurs de dissensions religieuses) l’Angleterre, sans jamais subir d’invasion étrangère, dut se défendre constamment contre des rois étrangers ou qui avaient un pied dans l’étranger, Écossais, papistes, Hollandais, Allemands ; les guerres napoléoniennes la trou-