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et du négatif modernes qu’est le Romantisme Féminin. Il n’a pas écrit contre le génie féminin et son œuvre n’a rien de misogyne mais contre les forces tumultueuses ou les divagations qui le déplacent hors de son rang.

D’une femme de lettres qu’il connut : « Qui fut mieux destinée à la forêt des myrtes que cette âme, qui fut brûlée toute sa vie par le même poison ? La mort même ne lui ôtera aucune inquiétude, car, plus folle que Phèdre, que Procné, qu’Evadné, qu’Eriphyle et que toutes les anciennes victimes d’amour, ce n’est pas seulement sa vie particulière qu’elle a voulu suspendre à l’autel du fragile dieu, c’est la vie même des cités, des nations, des sociétés. Il n’y a pas d’erreur plus fausse. Il n’y en a pas de moins belle. Cependant elle est d’un grand cœur[1]. »

Ce ne fut point l’erreur particulière de Paule Mink, ce ne fut point au XIXe siècle l’erreur particulière des femmes. Et la pente inévitable de leur nature, tout ce qui leur fait ce grand cœur,

L’enthousiasme pur dans une voix suave,
cela peut-il s’appeler leur erreur ? Ce fut l’erreur générale de ceux-là qui, élus pour les guides de l’intelligence, trahirent leur mandat et leur sexe même. Des quatre Sirènes étudiées avec de si beaux fonds et de si profondes résonances dans le Romantisme Féminin, M. Maurras parle en analyste amusé, curieux, peut-être même passionné. Mais les hommes ! L’imagination de Hugo fut féminine « en ce qu’elle se réduisit à une impressionnabilité infinie. Elle sentit, elle reçut plus qu’elle ne créa… Châteaubriand différa-t-il d’une prodigieuse coquette ? Musset, d’une étourdie vainement folle de son cœur ? Baudelaire, Verlaine ressemblaient à de vieilles coureuses de sabbat ; Lamartine, Michelet, Quinet furent des prêtresses plus ou moins brûlées de leur Dieu[2]. » On se rappelle ici en lisant M. Maurras ces lignes des Mémoires d’Outre-Tombe : « Si j’avais pétri mon limon, peut-être me serais-je créé femme. » Ces hommes usurpèrent sur le génie féminin, et « depuis qu’il retombe en quenouille, le romantisme est rendu à ses ayants droits. »

Discernant autour de lui ce règne de l’individu libre, de la facilité,

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 169.
  2. L’avenir de l’intelligence, p. 236.