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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/241

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document. Elle porte sur les thèses beaucoup plus que sur les hypothèses. Elle comporte l’ordre de vérité générale qui appartient à un pouvoir spirituel. Elle recherche, définit et qualifie ce qui est mauvais en soi. Or, de la démocratie, de la critique politique et du régime parlementaire, on peut dire à peu près ce que Richelieu dans son Testament Politique dit de la vénalité des offices, que ce fut une grande faute de l’établir, mais qu’on ne saurait pour le moment l’abolir sans tomber dans des maux plus grands que ceux que l’habitude dissimule et que l’usage amortit. De ce que le Syllabus appelle la liberté de conscience un mal, il ne s’ensuit pas que le pape en demande aux gouvernements la suppression, puisqu’au contraire il la réclame en faveur des catholiques là où elle leur est déniée.

Plus précisément nous vivons, tant bien que mal, de ce que nous avons, et nous souffrons de ce que nous n’avons pas. Le système politique de M. Maurras paraît, comme les systèmes de philosophie, vrai par ce qu’il affirme et faux par ce qu’il nie. Evidemment la démocratie sans mesure comme tout gouvernement sans mesure, c’est le mal, c’est la mort, la critique immodérée et sans fin ne peut que dissoudre et ruiner, l’omnipotence d’un Parlement est la plus dangereuse, la plus irresponsable des tyrannies. Mais pour les ramener à une mesure, à leur fonction de bien, un seul moyen est possible, une seule condition nécessaire : les contenir et les équilibrer par d’autres forces. Il y a une démocratie anglaise, mais aussi une aristocratie anglaise. Il y avait une démocratie allemande, il y avait aussi une monarchie impériale : pouvoirs qui semblent rivaux et qui peuvent se combattre, mais dont chacun dans sa sphère travaille au bien général. Une démocratie modérée et équilibrée reste aussi bien une démocratie qu’une monarchie constitutionnelle reste une monarchie. Ce qui importe ici c’est moins le vice de ce qui existe que, pour ce qui n’existe pas, le vice de ne pas exister. En d’autres termes, le problème de la réalité de la démocratie se pose au même titre que celui de la carence de l’aristocratie, de la carence de la monarchie : les trois problèmes se traduisent l’un dans l’autre. Et comme les amours de M. Maurras — et de tout homme de goût — ont un visage plus attrayant que ses haines, comme sa pensée est mieux dans son acte propre quand elle s’installe dans l’organique que lorsqu’elle se meut dans le critique, plutôt que devant les présences qui motivent ses colères il s’éclairera, comme Dante, devant les absences qui suscitent ses désirs.