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III
L’ARISTOCRATIE

Un État démocratique a, pour M. Maurras, un gouvernement dans la mesure où il cesse d’être démocratique, où il est gouverné par une minorité organisée.

M. Barrès lui objectant, dans l’Enquête, qu’il manquerait en France autour de la monarchie, une aristocratie digne de ce nom, M. Maurras répond que les deux termes ne s’impliquent nullement, ou plutôt que, si la monarchie peut et doit constituer une aristocratie dans l’intérêt du pays, son développement n’est point subordonné à l’existence d’une aristocratie. Il ajoute qu’au contraire une aristocratie solide « pourrait fournir de grandes chances de vie et de prospérité au régime républicain », vu que toutes les républiques prospères ont été aristocratiques : il cite Venise, Rome, la période organique d’Athènes. « Les républiques patriciennes se conforment à la loi des États prospères. Cette loi c’est l’hérédité. »

C’est là un problème politique extrêmement délicat. Deux points sont à noter : l’aristocratie a pu fournir un bon régime à des cités, mais il n’y a pas eu et il n’y a pas de grand État moderne à constitution toute aristocratique ; — en fait les deux réalités politiques fondées sur l’hérédité, aristocratie et monarchie, se sont toujours dans les grands États appuyées l’une sur l’autre, puisque le privilège héréditaire de l’une est exactement le privilège de l’autre : la monarchie a pu combattre et abaisser une noblesse, mais en s’appuyant sur une autre noblesse et en la créant au besoin. Richelieu dans son Testament recommande d’employer les gentilshommes, à mérite égal, de préférence aux roturiers, et il en donne des raisons pleines de sens. Les monarchies en rendant l’accès à la noblesse aussi facile que possible, en la maintenant à l’état de classe ouverte, travaillaient dans l’intérêt général et dans le leur. Le rapport de solidarité entre l’aristocratie et la monarchie est à peu près le même dans toutes les monarchies de l’Europe chrétienne : le