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de leur cause supérieure. Et la cause, c’est que notre pays n’a plus de roi et que cependant il aspire à en avoir un. Mot à mot, il en a besoin, il en a faim. Cette faim, si elle n’est pas absolument consciente et ne se traduit pas dans la formule d’un désir exprès, est cependant trahie par des signes extérieurs et des troubles intérieurs, qui sont, en politique, les équivalents de la fièvre ou de l’amaigrissement en physiologie. Dès lors, tous les examens de symptôme, tous les traitements de détail, ne nous dispensent pas de remonter jusqu’à la cause. Ils y obligent au contraire[1]. » C’est très exact. Cette carence de la royauté doit être étudiée en elle-même, mais elle-même n’est pas un fait irréductible et dernier. Elle a des causes. Elle est liée à un ensemble de faits qu’il importe de considérer avant de regarder l’ensemble de ses effets. M. Maurras condamne plus haut « le grand attribut libéral : l’Indépendance. Or tout est dépendant et interdépendant : voilà ce que disent ensemble la critique, l’expérience, la science[2] ». L’absence du roi, la carence de la famille royale, voilà un fait qui est lui-même dépendant.

La cause de cette carence, ou tout au moins une cause, M. Maurras l’a désignée. À la fin du XVIIIe siècle, les rois « doutaient sérieusement de la justice de leur cause et de la légitimité de cette œuvre de direction et de gouvernement qu’ils avaient en charge publique. Le sacrifice de Louis XVI représente à la perfection le genre de chute que firent alors toutes les têtes du troupeau : avant d’être tranchées, elles se retranchèrent ; on n’eut pas à les renverser, elles se laissèrent tomber. Plus tard, l’abdication de Louis-Philippe et le départ de ses deux fils, Aumale et Joinville, pourtant maîtres absolus des armées de terre et de mer, montrent d’autres types très nets du même doute de soi dans les consciences gouvernementales… Depuis que le philosophisme les avait pétris, ce n’étaient plus eux qui régnaient ; ce qui régnait sur eux, c’était la littérature du siècle. Les vrais rois, les lettrés, n’avaient eu qu’à paraître pour obtenir la pourpre et se la partager[3]. » Le chapitre est intitulé : Abdication des anciens princes. Mais si un tel événement a sa cause dans la force de ce qui attaque, il a son origine aussi dans la faiblesse de la défense et dans une ruine intérieure du pouvoir attaqué. C’est dans l’ordre politique aussi qu’est vrai ce que M. Maurras

  1. La Politique Religieuse, p. 174.
  2. ld., p. 130.
  3. L’Avenir de l’Intelligence, p. 38.