Aller au contenu

Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit de l’ordre individuel : « Dans les profondeurs de l’être de chacun, la police de la nature, qui s’exerce par la disgrâce, par les échecs, par la maladie, par la mort, développe les simples conséquences de nos délits. La suite des malheurs issus d’une faute première accompagne jusqu’au tombeau[1]. »

La carence de la monarchie sous toutes ses formes et à toutes ses dates — 1789, 1830, 1848, 1873 — n’a point son origine principale dans le vice moral ou la faiblesse intellectuelle de ses princes. Le roi contemporain des philosophes et des lettrés ne mérite peut-être pas le nom de mauvais roi que l’histoire lui a donné et que M. Maurras lui-même lui laisserait volontiers. Ses mœurs n’ont pas été régulières, mais on en excuse de pareilles chez Edouard VII qui fut un vrai roi et Léopold II qui fut un grand roi. Il ne manque ni d’intelligence, ni d’humanité. Ayant eu tout le temps de son règne inscrites sur le marbre devant son lit les paroles de Louis XIV à son lit de mort : « J’ai trop aimé la guerre », — il fit la guerre avec répugnance et donna a la France les grandes périodes de paix durant lesquelles elle se refit. Timide et nonchalant il gouverna peu, mais il fit presque toujours de bons choix et la plupart de ses ministres gouvernèrent bien. Louis XVI n’avait pas de qualités brillantes, mais il eût fait le bon roi d’un grand ministre ou de bons ministres, et son règne pouvait, aurait dû être un grand règne. Charles X ne comprit rien à son temps, mais Louis-Philippe et même le comte de Chambord avaient toutes les qualités éminentes des princes. Le mystère des malheurs qui s’enchaînèrent persévéramment dans la destinée de la maison de France et par conséquent de la France paraît inexplicable. Il y faudrait une science de la mauvaise fortune analogue à cette science de la bonne fortune que M. Maurras propose a l’empirisme organisateur. Elle nous permettrait de répondre a la question que pose M. Maurras lorsqu’il écrit : « Le cadavre d’une monarchie est une idée qui ne représente rien. Comment une institution peut-elle être un cadavre ?… On cite cent exemples de restauration monarchique dans des pays républicains[2]. » Évidemment nous ne pouvons jamais savoir ce que l’avenir nous réserve. Mais le cadavre d’une monarchie dans le passé, c’est une idée qui représente quelque chose. Cela signifie, dans l’espèce, non seulement qu’un monarque est tombé une fois d’un trône, mais que des successeurs, après plusieurs essais

  1. Les Amants de Venise, p. 259.
  2. Kiel et Tanger, p. 363.