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VII
LA SOCIÉTÉ

La haine tenace par laquelle M. Maurras poursuit le nom et la réalité de l’individualisme ne s’expliquerait guère sans une sorte de rancune personnelle, — et très personnelle, très individualiste. L’individualisme semble bien sa mauvaise conscience, celle contre laquelle il se défend et dont il se débarrasse par une tension et par une crise. Son antipathie naturelle contre le romantisme, ses luttes politiques pendant l’affaire Dreyfus lui ont montré la nécessité d’un Contr’un, lui ont fait mieux sentir ce que M. Barrès a reconnu de plus en plus après les Déracinés, le primat du social, ou, au sens complet, du politique. Tout son combat est mené contre cette insurrection de l’individu que dénonçait Auguste Comte. « L’État français d’avant 1789 était monarchique, hiérarchique, syndicaliste et communautaire ; tout individu y vivait soutenu et discipliné. Châteaubriand fut des premiers après Jean-Jacques qui firent admettre et aimer un personnage isolé et comme perclus dans l’orgueil et l’ennui de sa liberté[1]. » Un homme de lettres, une sensibilité ardente et brillante impliquent toujours, à l’heure actuelle, un Châteaubriand en puissance que M. Maurras se soucie de ne pas laisser en lui-même passer à l’acte. Il suscitera donc pour le refouler toutes les représentations et toutes les idées antagonistes. Tout ce que perdra l’individu la chose sociale le gagnera, le réalisme social l’incorporera en des êtres. M. Maurras, qui s’en tient au point de vue de l’empirisme organisateur, n’a point formulé de thèses sociologiques, ne s’est pas mêlè au débat sur la nature du fait social et de l’être social. Mais, de son point de vue limité, il a apporté sur le problème de l’association politique, sur la vie du ξῶον πολιτιϰόν (xôon politikon) des lumières précises et précieuses.

M. Maurras professe une grande admiration pour l’œuvre de Fustel

  1. Trois Idées Politiques, p. 9.