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de Coulanges, pour sa contribution à l’histoire de France. Je suis surpris qu’il ne se soit jamais référé à la Cité Antique, qui développe une sorte de synthèse abstraite et mythique de l’antiquité très analogue à celle que M. Maurras présente de l’ancienne société française et propose comme idéal à celle de demain. Le schème de Fustel, — institution des familles sur le culte des morts et du foyer, constitution, autour, d’un culte commun, des tribus ou associations de famille, des cités ou associations de tribus, identité de la fonction du roi, chef religieux de la cité, avec celle du pater familias, chef religieux de la gens, — se retrouve dans le traditionalisme de Bonald et de Le Play, dans leurs constructions de la famille agrarienne et de la famille-souche, et apparaît à l’état de mythe directeur dans la pensée de M. Maurras.

Auguste Comte définit l’individu une abstraction sociale, définition qui est exactement à l’antipode de Contrat social et de la Déclaration des Droits. L’individu, de même qu’il n’est pensable que par le jeu de concepts sociaux, est produit en tant qu’homme civilisé par l’action de réalités sociales. Or « si la société humaine produit l’individu humain, dit M. Maurras, elle ne peut être composée de ce qu’elle produit, d’individus. La société est composée de sociétés, c’est-à-dire de groupements d’êtres humains qui pourront être hommes un jour à la faveur de la Société, mais auxquels il est naturel, en attendant, de vivre groupés, soit pour continuer la vie, comme c’est le cas des familles, soit pour la fortifier, l’accroître et l’embellir, c’est le cas des communes et des syndicats, des nations et des religions, des corps, des compagnies littéraires, scientifiques ou artistiques de toute sorte, M. Ferdinand Buisson et ses pareils se figurent que ces Associations sont des groupes fictifs auxquels l’État veut bien concéder l’existence et la vie ; mais il est dupe des formalités administratives. Dans la réalité, l’État est de beaucoup postérieur à ces groupements. Il les reconnaît, il en tient registre. Il ne les crée pas. Comme elle est supérieure à l’individu, la société est supérieure à l’État. Il est aussi naturel à l’homme d’être d’un corps de métier que d’une famille et de tirer à l’arc ou de jouer aux boules que de se marier. Quand l’État se forme, non seulement les familles, mais des associations de toute sorte sont ou formées ou ébauchées depuis longtemps. Il est bien une pièce centrale de la société, mais ajustée pour la défendre et l’organiser, non pour la détruire[1]. »

  1. La Politique Religieuse, p. 223.