Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/273

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La page est très forte, très belle, et je veux bien le dire très vraie, à condition qu’on s’entende sur son espèce de vérité. Ce n’est pas manquer de déférence à M. Maurras que de mettre sa construction sur le même plan que la Cité Antique, et de demander de Fustel de Coulanges et de lui où ils ont vu jouer toute cette pièce. Est-ce sur le terrain du droit ? Est-ce sur le terrain du fait ? Si c’est sur le terrain du droit, nous considérerons cette doctrine comme un ensemble de directives pour un Code civil et un Code administratif de demain, qui porteront non plus sur des individus, mais le premier sur des familles et le second sur des associations, nous y verrons le plan de la réforme politique et sociale que propose M.  Maurras. Si c’est sur le terrain du fait, nous comprendrons que pour M. Maurras les choses se passaient à peu près ainsi sous l’ancien Régime, avant le cyclone de l’individualisme révolutionnaire. Si c’est enfin sur l’un et sur l’autre, nous entendrons que M.  Maurras nous décrit un état ancien, qui était le bon, et auquel il nous faut revenir le plus vite possible : réaction d’abord ! Exactement, cette vérité demeure flottante au-dessus des deux sens : elle a la figure de la Cité de Fustel ou de ce pays des familles-souches pastorales que Le Play avait placé moitié mythiquement, moitié réellement, dans les grandes mers d’herbes de l’Asie centrale. Nous avons le sentiment que cela n’a jamais correspondu à une existence solide, consciente, entière, n’a jamais été réalisé totalement dans un état social donné. L’historien réunit arbitrairement du temporel et du spirituel, de la réalité qui vécut, dura, et de la vérité idéale qui même à l’époque dont il traite flottait déjà comme la vapeur et les lignes d’un âge d’or idéalisé. Quand Louis XIV, dans les Mémoires qu’il écrit pour le Dauphin, parle de la nécessité malheureuse où se trouve aujourd’hui l’État d’exiger les impôts, alors que dans l’innocence du bon vieux temps c’était un tribut spontané que les sujets accordaient avec bonheur, nous discernons là un élément de vérité historique, à savoir qu’il n’y avait pas d’impôt direct permanent avant Charles VII, mais nous apercevons également par quelle pente d’idéalisation naturelle on applique au passé d’une manière instinctive en matière de politique le mythe de l’âge d’or. L’époque même de Louis XIV paraît à M.  Maurras non un âge d’or — ne chargeons pas — mais un âge normal durant lequel l’État tenait registre de ces groupements, les respectait, parlementait avec eux. En réalité je crois bien que si, au sujet de ces corps, de ces associations, on leur eût proposé le texte de M.  Maurras et celui-ci, de M.  Hanotaux, les