Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/275

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qui soient susceptibles de sortir de la dispute grammairienne, on jugera, je crois, qu’appliquée à l’État français la page de M. Maurras est historiquement forte, et politiquement faible, et celle de M. Hanotaux historiquement faible et politiquement forte. La France, comme tous les États modernes, est formée d’une construction coutumière et féodale et d’une construction romaine et politique, la première antérieure chronologiquement (dans la France d’oïl au moins) à la seconde. Le droit a d’abord été une coutume, la royauté a d’abord été une constitution féodale, qui a acquis peu à peu la suprématie sur les autres institutions féodales, les a ployées et pétries selon les directives qui ont, consciemment ou inconsciemment, présidé à la formation de tous les États modernes. Les « sociétés » ont d’abord été ce que dit M. Maurras, puis l’État les a qualifiées à peu près dans les termes qu’emploie M. Hanotaux. Ces groupements, aristocraties, associations, Églises, sont accusés de s’être introduits abusivement et malicieusement dans le corps de l’État, qui se promet bien de prendre médecine. — Mais, répondent-elles timidement ou font-elles répondre par leur syndic M. Maurras, il y avait une noblesse, des associations communales, une Église avant qu’il y eût un État : que pouvions-nous lui faire quand il n’était pas né ? C’est l’État qui s’est formé, agrandi, avec notre secours et aussi à nos dépens. Vous gémissez sur le problème des États dans l’État. Cette expression prend depuis Richelieu le sens de maladie grave qui appelle des remèdes énergiques. Mais l’État a d’abord été un État d’États. Il s’en trouvait bien. Pourquoi ne le serait-il pas encore ? — C’est de l’histoire et du passé, ce n’est pas de la politique et du présent. Les États ont existé avant l’État comme les coches ont existé avant les chemins de fer. Reviendrons-nous pour cela aux coches ? On vous l’a dit, à propos d’un texte de M. Charles Benoist, qui descend, aussi bien que M. Hanotaux, des légistes de Philippe le Bel, l’État moderne est un État où tout se fait par la loi, où tous les rouages sociaux sont mus par cette électricité invisible. Ce n’est pas le moment de venir nous proposer vos lourdes machines. — Mais êtes-vous légistes et centralisateurs avec une conscience aussi bonne que vous le dites ? Si cette pente de l’État moderne était si nécessaire qu’il vous semble, comment se fait-il que tous les partis chez nous soupirent après la décentralisation ? — C’est une question de mesure. Nous songeons en effet à de bonnes lois de décentralisation. Elles sont à l’étude. Une commission… — C’est ici que je vous tiens. Ce que vous appelez l’État moderne est