Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/276

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une machine pléthorique et mal agencée. Votre peur des États dans l’État dénote la faiblesse d’un vieil État catarrheux et rhumatisant. Un État fort, c’est-à-dire l’État monarchique, n’aura pas peur des États, des corps, des associations, de l’Église. Pour qu’il décentralise il faut qu’il n’en ait pas peur, pour qu’il n’en ait pas peur il faut qu’il soit fort, pour qu’il soit fort il faut qu’il ait un roi. Vous m’avez donné raison pour le passé, sur le terrain historique. Quand les corps, les sociétés, seront soustraits à la centralisation qui les empêche de se développer ou d’être, notre idée se vérifiera sur le champ du présent, dans l’ordre pratique et politique.

Un décentralisateur doit être monarchiste, parce qu’un pouvoir héréditaire seul peut décentraliser et qu’un pouvoir électif ne le peut pas : en diminuant ses prises sur l’électeur, celui-ci scierait la branche sur laquelle il est assis. — En théorie c’est vrai. En fait que voyons-nous ? La monarchie française jusqu’à Louis XVI a toujours accompli œuvre d’État, œuvre centralisatrice. Louis XVI le premier fait machine en arrière, avec le rétablissement des Parlements et les Assemblées provinciales ; mais d’abord les résultats sont des plus médiocres, ensuite Louis XVI décentralise non en tant que pouvoir fort, mais en tant que pouvoir faible et sous la pression de l’opinion, des idées révolutionnaires. Car les idées révolutionnaires sont des idées décentralisatrices, follement décentralisatrices comme en témoignent les constitutions de 1791 et de 1793. C’est contre ces idées que le gouvernement révolutionnaire dut être, sous la pression de l’état de siège, impitoyablement centralisateur. Depuis la Révolution, aucun gouvernement héréditaire n’a décentralisé, et les mesures décentralisatrices, parfois exagérés ou maladroites, sont dues à des gouvernements électifs (loi Falloux, lois sur les conseils généraux, sur l’élection des maires, sur les Universités, sur les associations).

J’avance l’objection pour la prévenir dans l’esprit du lecteur. Elle ne porte pas beaucoup contre M. Maurras. Toutes ces mesures en apparence décentralisatrices ou bien étendent à tout, à tort et à travers, le principe électif et le suffrage universel, ou bien retiennent la réalité pour donner l’ombre, ou bien sont des instruments de lutte contre un parti. La Révolution et les régimes issus d’elle ont détruit les corps : voilà le mal. Un État décentralisé, c’est l’État qui garantit l’existence et le développement des corps. « La monarchie n’apporte aucunement aux bons citoyens, aux associations nationales, aux groupements religieux, une besogne toute faite, mais simplement la faculté d’exister