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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/277

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librement, de se développer sans contrainte, de vivre en paix sous des lois justes[1]  » En droit ces corps, ces républiques, existent avant l’État, sont souverains dans leur domaine comme l’État est souverain ou doit être souverain dans le sien. « L’État, quand il est bien institué, n’a presque pas affaire aux individus, mais à de petites organisations spontanées, collectivités autonomes, qui étaient avant lui, et qui ont chance de lui survivre, véritable substance immortelle de la nation[2]. » En tant seulement qu’il est encadré et défendu par ces organisations, le citoyen possède des libertés véritables. Favoriser le développement de celles qui sont, la naissance de celles qui tendent à être, le juste équilibre des unes et des autres, voilà la véritable décentralisation. Avec elle « la puissance de chaque citoyen serait augmentée de l’importance des corps et compagnies dont il serait participant… Le citoyen recouvrerait enfin sa liberté politique. Du vague administré sortirait enfin le citoyen véritable. L’État central serait tout aussi éloigné de lui qu’il peut l’être d’un citoyen américain. »

C’est le contre-pied exact du droit révolutionnaire républicain et français, tel que M. Poincaré l’exposait lumineusement dans sa plaidoirie pour l’Académie Goncourt : « Dans notre droit moderne, deux grands principes ont été posés. Premier principe : aucun être moral, aucune personnalité juridique ne peut exister sans une délégation générale ou sans une délégation particulière des pouvoirs publics… Second principe : tout établissement public, tout établissement d’utilité publique, ne pourra recevoir aucune libéralité, soit donation, soit legs, autrement qu’avec une autorisation spéciale des pouvoirs publics… Tout au contraire, en Allemagne et en Angleterre, les fondations directes non seulement sont autorisées mais sont encouragées, et d’un usage chaque jour plus fréquent. Ce sont en Allemagne les Stilflugen et en Angleterre les trustees. » Les fondations directes sont encouragées pour le présent et l’avenir dans les pays où les fondations du passé ne sont pas tenues en suspicion et en méfiance.

Le principe de ce droit révolutionnaire, républicain et français consiste en ce que l’individu et non la famille, le viager et non le perpétuel, figure le type de réalité sociale.

La monarchie héréditaire représentait une continuité naturelle par ce fait qu’elle était une famille, comme la monarchie traditionnelle

  1. Le Dilemme de Marc Sangnier.
  2. Enquête, p. 323.