Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On conçoit dès lors la manière dont il a reconnu dans la discipline d’Auguste Comte et dans l’institution positiviste les sœurs exactes et fidèles de la discipline française et de l’institution monarchique. De la « déesse France » il pourrait écrire intégralement ce qu’il écrit dans son essai sur Comte du Grand Être positiviste : « Du jour où s’établit cette Religion Positive, l’ordre, devenu la condition du progrès, impose le respect spontané de la tradition, bien mieux, l’amour de ce noble joug du passé, et, d’une façon plus générale, le sentiment de la supériorité de l’obéissance et de la soumission sur la révolte. Tout le monde subit la loi, le sage la connaît, mais l’homme pieux l’affectionne. Si donc le culte du Grand Être humain se propageait et s’imposait, les relations de dépendance universelle et d’universelle hiérarchie seraient précisément l’objet de ces exaltations, de ces enthousiasmes et de toutes les agitations sensitives, qui s’exercent aujourd’hui en sens opposé : ce grand facteur révolutionnaire, l’humeur individuelle, le sentiment, l’Amour serait l’auxiliaire de la paix générale[1]. »

De ce point central, de cet autel domestique et national, M. Maurras lui aussi, prenant pour colline de Sion ses hauteurs d’Aristarchè, nous donnera sans doute un jour ces Bastions du Midi, cette théorie de la France, cette Anthinea française. Nous savons quels éléments esthétiques et quels éléments religieux elle comporterait, quelle idée de la beauté classique, quelle idée de tout catholique y seraient incorporées. Du point de vue politique, du point de vue national et nationaliste, l’être de la France, comme celui de toute nation européenne, impliquerait trois idées originelles : celle d’un ennemi, celle d’un chef, celle d’une continuité. Un ennemi contre lequel nous avons dû nous ramasser et nous constituer, un chef autour duquel nous avons dû nous grouper et nous organiser, une continuité par laquelle nous avons dû nous perpétuer et nous accroître.

  1. L’Avenir de l’Intelligence, p. 135.