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tinct, cet instinct des peuples vivaces, vaincus sans qu’on les ait domptés. Il s’est décerné à lui-même et aux siens d’énormes éloges. Il a violemment injurié le vainqueur. Une apologie enflammée de sa race, une critique amère du Français, c’est tout l’intéressant de ces oraisons ampoulées. Mais la critique est belle de furie et de cécité volontaire. Quel mépris des langues latines ! Quelle horreur de l’esprit latin ! Quelle force à marquer l’esprit des deux races ! L’une est la mort, l’autre la vie[1]. »

Ainsi M. Maurras s’est proposé de renouveler non le genre humain, mais la France, en la ramenant à ses racines traditionnelles. Il a fait appel à l’instinct en l’éclairant par la raison. Il a construit une apologétique de l’esprit classique, de la France monarchique. Il a violemment injurié l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur, dont il a placé les deux têtes sous le même bonnet rouge. Sa critique compte entre ses beautés un masque furieux, et sa lumière ne se concentre qu’au prix de certaines cécités volontaires. Quel mépris du germanisme ! Quelle horreur de l’esprit allemand ! Quelle force à marquer l’esprit des deux races ! L’une est le mal, l’autre le bien !

La théorie du germanisme esquissée par M. Maurras est simple, et l’on trouvait certainement plus de subtilité dans les écrits des légistes que Richelieu faisait travailler contre l’Empire et l’Empereur. « Depuis le début de la guerre, nous ne cessons de dire que nous avons affaire au Germain éternel, tel que l’a vu César, tel qu’il apparaît tout le long du moyen âge, sous Charles-Quint et pendant la guerre de Trente ans[2]. » Ainsi M. Victor Bérard écrivait au lendemain de la déclaration de guerre son Allemagne éternelle. Il paraissait appartenir aux publicistes et aux historiens de brosser des tableaux sommaires dans le genre du Rêve de Detaille, et de mobiliser, sous les drapeaux de quelques idées générales, derrière l’ennemi en armes tout son passé, sa tradition, sa légende.

L’Allemand, selon M. Maurras, appartient à une espèce inférieure. C’est « un simple candidat à la qualité de Français ». et M. Maurras n’hésite pas à le faire asseoir devant son bureau. Ce mauvais candidat voudrait en remontrer à l’examinateur, et la vérité, selon M. Maurras, est qu’il a mal profité de certaines leçons et bien de certaines autres, qu’il mérite une mauvaise note de moralité, mais une bonne note de

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 31.
  2. Le Parlement se réunit, p. 39.