Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/316

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Tout cela suppose le problème résolu, méthode plus commode en géométrie qu’en politique. M.  Maurras reproche à la politique républicaine de n’avoir pas eu de plan d’ensemble. Il se transporte à l’extrémité opposée, et nous apporte, pour plan d’ensemble, une épure idéale. Retenons que la politique des traités de Westphalie donnera des fruits superbes à l’époque où le Siège catholique romain sera redevenu le docteur et le promoteur de la civilisation. N’y aurait-il pas dès lors quelque ombre d’archaïsme dans la politique extérieure de M.  Maurras, et des ombres analogues ne flotteraient-elles pas en les coins de ce beau paysage à la Poussin où les divers massifs, les divers ordres de son œuvre s’engendrent et s’équilibrent.

Peut-être ai-je tort, ici, de parler d’ombres. C’est précisément le vaporeux et le fluide qui manquent à sa construction et qu’elle exclut. M.  Maurras bâtit toujours fortement. Et je n’aurai pas l’injustice d’écrire que son aqueduc romain s’est écroulé sur lui. Il demeure solide comme le pont du Gard lui-même, doré comme lui, mais, comme lui toujours, il ne porte pas d’eau. Il se veut si romain qu’il exclut la nature de l’eau, comme le philosophe italique d’Elée excluait toute mobilité ionienne.

Il nous apparaît, en cette année 1919, que notre République valétudinaire a vécu, a duré comme aurait fait la monarchie brillante de santé qu’imagine M.  Maurras. La grande guerre a montré tous les gouvernements, tous les États, débordés comme l’apprenti sorcier de Gœthe par les forces qu’ils avaient mises en mouvement. Je m’étonne que M.  Maurras n’ait pas largement noté ce trait favorable à sa thèse : la politique de M. Delcassé, sous les ministères Waldeck-Rousseau et Combes, ne trouva une telle faveur dans le monde parlementaire, républicain et socialiste que parce que ses traités, ses accords, paraissaient autant de jalons plantés sur la route de la paix. Le député qui voyait dans l’arbitrage international le fin du fin de la politique extérieure radicale-socialiste pouvait se présumer à bon droit delcassisant. Les accords franco-anglais de M.  Delcassé et de lord Grey étaient pourtant, sous leur apparence pacifiste et leur style Cour de La Haye, le cheval de Troie qui portait la guerre. Pareillement le prince de Bulow disait sincèrement à l’époque de Tanger : « Nous ne ferons pas la guerre pour le Maroc. » Et pourtant l’Allemagne aussi, et le monde entier, ont été gagnés par l’incendie venu des Colonnes d’Hercule. L’importance de l’empire colonial français, qui devait dans la pensée de Ferry et de Bismarck écarter la possibilité d’une nouvelle guerre franco-alle-